Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/358

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui donner à penser, dans l’espoir de le ramener à vous, car vous l’aimez encore, ma pauvre Jeane !

La jeune fille haussa légèrement les épaules, se recueillit pendant quelques moments, et dit à San-Privato, en attachant sur lui un regard profond et scrutateur :

— Albert, si vous m’aviez encore aimée, auriez-vous voulu de moi pour votre femme ?


II

San-Privato, entendant Jeane lui demander soudainement s’il voulait d’elle pour sa femme, parut d’abord stupéfait, puis très-ému ; mais bientôt, souriant, il se dit tout haut d’un ton de reproche :

— Sot que je suis, de prendre au sérieux cette méchante raillerie…

— Rien de plus sérieux que mes paroles, je vous le jure !

— Vous voulez que je croie ?…

— Je veux que vous croyiez à mon serment, et, je vous le jure, je parle sérieusement, très-sérieusement en vous demandant si, dans le cas où vous m’auriez encore aimée, vous auriez voulu de moi pour votre femme ?

— Ah ! vous donner mon nom, vous consacrer ma vie, — reprit Albert avec entraînement, — c’eût été le plus ardent de mes vœux ! mais…

— Mais j’ai aimé Maurice, et vous voulez un cœur qui vous ait appartenu et vous appartienne sans partage… et puis, enfin, vous ne m’aimez plus.

— Vous vous trompez, Jeane.

— Vous m’aimez encore ?

— Je répondais à la première de vos objections : que je voulais un cœur qui m’eût appartenu sans partage, et, à ce sujet, je vous disais : Vous vous trompez.

— Comment ?

— S’il m’eût été permis d’opter entre ces deux bonheurs,