Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/368

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ah ! le malheureux enfant ! il m’a causé… il me cause des inquiétudes mortelles, — murmura madame Dumirail, ne pouvant contenir ses larmes. — À peine arrivé à Paris, une indigne femme, riche et titrée, lui a écrit sous un prétexte… et… que vous dirai-je, monsieur Delmare ? hier au soir, cette effrontée est venue chercher mon fils dans sa voiture, et, malgré mes prières, malgré mes ordres, malgré la douleur de Jeane, il est allé rejoindre cette créature ; elle l’a enlevé, pour ainsi dire, sous nos yeux. Ce n’est pas tout : il a découché cette nuit, et, ce matin, un grand nombre de marchands, envoyés par cette même femme, venaient exciter mon fils à de ruineuses dépenses.

— Madame, — dit Charles Delmare réfléchissant, — le nom de cette femme, le savez-vous ?

— La baronne de Hansfeld.

— Je ne l’oublierai pas ; mais, j’en jurerais, cette femme, qui semble vouée à la perte de Maurice, doit être l’instrument de M. San-Privato, que voici.

À cette accusation portée par Charles Delmare avec l’accent d’une irrésistible conviction, madame Dumirail, d’abord stupéfaite, jeta un regard de trouble et de crainte sur son neveu. Celui-ci, malgré son empire sur lui-même, ne put dissimuler la surprise inquiète que lui causait l’étrange pénétration du père de Jeane ; mais, reprenant bientôt son calme impassible et haussant légèrement les épaules, le jeune diplomate reprit :

— Ma bonne tante, vous êtes dupe d’un très-habile comédien, qui, mis en demeure d’articuler s’il est, oui ou non, le meurtrier de M. Ernest Dumirail, s’ingénie à vous dérouter en vous lançant dans les hypothèses les plus extravagantes ; car, enfin… je vous le demande un peu, quel intérêt puis-je avoir, moi, à ce que Maurice ait des maîtresses et des dettes ?

— Madame, écoutez bien ceci, — reprit Charles Delmare : — Peu d’instants avant son départ du Morillon, M. San-Privato m’a dit ces paroles… il va les nier… peu importe, les voici : « Monsieur Delmare, vous avez une grande influence sur M. et madame Dumirail, ainsi que sur Jeane et sur Maurice. Je veux que leur mariage soit définitivement ajourné, je veux que vous engagiez les parents de Maurice à l’envoyer à Paris. »

— Je veux, je veux ! — répéta madame Dumirail ébahie ; — mais de quel droit mon neveu vous imposait-il ainsi ses volontés ?

— Prenez garde, ma chère tante ! — dit San-Privato, cachant sous un sourire méprisant l’anxiété que lui causait la révélation de Charles Delmare, — prenez garde ! vous allez embarrasser