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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/371

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pour vous engager à ajourner le mariage de Jeane et de Maurice et à envoyer celui-ci à Paris, où de si dangereuses séductions l’attendaient… Un dernier mot, madame : ce que l’on appelle les convenances vous défend maintenant de me recevoir, puisque vous savez que j’ai eu le malheur de tuer en duel votre beau-frère ; c’est à vous d’apprécier si vous devez sacrifier aux convenances l’intérêt de votre fils. Je l’aime comme mon enfant ; ses désordres, dont vous vous effrayez, m’alarment aussi, sans cependant m’ôter tout espoir de le ramener au bien. Je sais le nom de la femme dangereuse entre les mains de laquelle il est tombé. Je ne resterai pas inactif ; mon expérience de Paris, quelques anciennes relations que j’y ai conservées, me permettront de suivre Maurice où qu’il aille ; aussi, quoi qu’il advienne, mon action sur lui peut encore être salutaire ; mais cette action doit être concertée avec la vôtre, madame ; il faut pour cela que je vous voie souvent.

— Hélas ! monsieur Delmare, mon dernier espoir était en vous ; pourquoi faut-il que ce malheureux duel… ?

Et, s’interrompant, madame Dumirail ajouta :

— Cependant, lorsqu’une amitié dévouée m’offre une chance d’arracher mon fils au désordre, mon devoir de mère n’est-il pas d’accepter ?

— Quoi ! ma tante, vous vous laissez ébranler ? — dit vivement San-Privato. — Mais songez donc au chagrin, à la légitime indignation de mon oncle si, lors de sa prochaine arrivée ici, il y rencontrait celui qui…

— Mon Dieu, je n’ai pas besoin de vos conseils ; je suis d’âge à me conduire, — répondit impatiemment à Albert madame Dumirail. — Vous devriez, mon neveu, vous rappeler les graves accusations que M. Delmare porte sur vous…

— Ces accusations sont des calomnies tellement dénuées de sens, que je ne daignerai plus non-seulement y répondre, mais y faire la moindre allusion, — dit froidement San-Privato ; — je me bornerai, ma tante, à vous déclarer que, dans le cas où vous cacheriez à votre mari que M. Delmare n’est autre que le prétendu Wagner, je parlerai, et mon oncle saura tout.

— Que m’importe ! — reprit madame Dumirail ; — est-ce que, en refusant le concours si utile de M. Delmare, je rendrai la vie à mon beau-frère ?

— Ah ! ma tante, je ne saurais, sans m’écarter peut-être du respect que je vous dois, vous dire quel sentiment m’inspirent