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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/39

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possible dans la parfaite conformité de leurs vœux, de leurs habitudes et dans leur sympathie mutuelle, accepta les propositions de M. Dumirail. La félicité que tous deux attendaient de cette union dépassa leur espoir ; le plus léger nuage ne l’obscurcit jamais, et, depuis plus de vingt ans qu’elle durait, les seuls chagrins dont M. Dumirail eût ressenti l’atteinte furent d’abord le passager refroidissement de madame San-Privato, sa sœur, très-vivement contrariée de le voir se marier à quarante ans, habituée qu’elle était depuis longtemps à penser qu’il resterait célibataire et à désirer qu’il en fût ainsi pour plusieurs motifs ; mais le temps et surtout la nécessité de s’accommoder d’un événement qu’elle ne pouvait empêcher effacèrent peu à peu (du moins en apparence) les ressentiments de madame San-Privato, et, plus tard, lors des divers séjours qu’elle fit chez son frère, au Morillon, elle vécut en très-bons termes avec sa belle-sœur.

L’autre chagrin dont souffrit longtemps M. Dumirail fut causé par la mort tragique de son frère Ernest, qu’il aimait de la plus vive affection, et qui (selon la croyance générale) avait été tué en duel par le peintre Wagner ; ajoutons enfin que M. Dumirail ne doutait pas que Jeane ne fût véritablement sa nièce, bien qu’il fût instruit de la coupable faiblesse de la mère de la jeune fille.

Charles Delmare, ainsi que nous l’avons dit, accompagna M. et madame Dumirail dans leur appartement, et bientôt l’entretien suivant commença :

— Mon cher voisin, — dit M. Dumirail à Charles Delmare, — depuis trois ans que s’est établie notre intimité, dont ma femme et moi nous nous félicitons chaque jour, nous vous considérons comme l’un des membres de notre famille ; aussi nous désirons vous consulter aujourd’hui sur l’une des plus graves déterminations que nous puissions prendre.

— Et, contre notre habitude, — dit à son tour madame Dumirail, — mon mari et moi, nous différons en quelques points de manière de voir au sujet de la résolution dont il s’agit.

— J’ajouterai, mon cher Delmare, que ma bonne Julie, après m’avoir soumis ses objections, voulant absolument subordonner sa décision à la mienne, je m’y suis refusé, parce que ses objections, je l’avoue, ont ébranlé mon opinion première. Or, dans ce doute, nous sommes convenus de vous soumettre la question.

— Votre confiance m’honore et me touche, j’y répondrai de mon mieux, — dit Charles Delmare d’un ton pénétré ; — de quoi s’agit-il ?

— D’un projet de mariage, — reprit M. Dumirail.