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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/41

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— En effet, toute réticence de ma part, en une circonstance aussi grave que celle-ci, aurait de graves inconvénients… vous saurez donc toute ma pensée. Or, tantôt, en voyant éclater sur la belle et virile figure de Maurice, cette indomptable énergie de vouloir qui le caractérise… en le voyant si jeune, si impétueux, je me disais : Si, au lieu d’être élevé sous vos yeux, instruit, formé au bien par vos conseils, par vos exemples, depuis son enfance ; si, au lieu de ressentir un goût décidé pour la vie des champs, d’avoir ainsi, pour ainsi dire, une ligne de conduite tracée d’avance… l’avenir de Maurice devait être livré aux hasards des circonstances imprévues… je serais très-alarmé.

— Cette alarme, mon cher Delmare, me semble naître de l’affection que vous portez à notre fils, — dit M. Dumirail ; — croyez-moi, ses bonnes qualités natives le sauvegarderaient assurément des passions mauvaises.

— Mon ami, je ne partage pas cette confiance absolue, reprit Charles Delmare ; en raison même de son naturel ardent, énergique, passionné, Maurice est accessible aux grands entraînements ; il sera toujours de ceux-là qui restent fidèles tant qu’ils vivent parmi les gens de bien, mais qui, dans un mauvais milieu, peuvent, plus aisément que d’autres, se laisser égarer ; aussi faut-il surtout les préserver des tentations du mal, en un mot, de l’occasion de faillir… tant qu’ils sont dans l’âge de l’effervescence des passions. Aussi, je ne saurais trop le répéter, mariez Maurice le plus tôt possible… son cœur vient de s’éveiller à l’amour. Il aime Jeane, il en est aimé : tous deux sont purs. Cette union, grâce à Dieu, ne sera pas de celles où l’époux apporte à la jeune épouse une âme déjà flétrie, des sens blasés ; le mariage sera pour ces deux jeunes gens le plus doux des liens ; Maurice se passionnera pour sa femme ; plus tard, pour ses enfants et pour ses devoirs de père ; ces devoirs, il les accomplira avec la chaleur de cœur, la puissance de volonté qui le caractérisent ; cette existence paisible, laborieuse, qui lui plaît, déjà tant, lui deviendra plus chère encore partagée par une compagne bien-aimée, entouré d’une jeune famille ; ainsi s’écouleront pour lui, dans l’enchantement prolongé d’un premier amour, la période de vingt à vingt-six ou vingt-huit ans, ces années les plus critiques de l’homme ; dès lors, ainsi qu’on le dit vulgairement, le pli sera pris, la pratique et l’amour des vertus domestiques seront pour jamais enracinés dans l’âme et, qui mieux est, dans les habitudes de Maurice. Ses enfants grandiront, il faudra songer à leur établissement ; de sorte que, les devoirs s’ajoutant aux devoirs, Maurice, sans risquer de faillir,