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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/418

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X

Durant cette même matinée où, après le départ des témoins de l’adversaire de son fils, M. Dumirail se livrait à de si douloureuses appréhensions, Charles Delmare s’était rendu chez M. d’Otremont, qu’il n’avait pas rencontré la veille.

Rien ne fut plus cordial que l’entrevue des deux amis. Ils conversaient depuis quelques moments, et Richard témoignait autant de déférence que d’affection à son premier initiateur à la fashion parisienne, lui disant en continuant de serrer sa main entre les siennes :

— Non, jamais je n’oublierai, mon cher Delmare, qu’à l’âge de dix-huit ans, j’ai eu le bonheur de vous avoir pour guide, pour mentor, vous plus vieux que moi de plusieurs années ; vos excellents conseils m’ont épargné ces écoles, ces fautes qui, si souvent, ruinent et couvrent de ridicule les très-jeunes gens à leur début dans le monde. Ne m’avez-vous pas démontré pour ainsi dire algébriquement que je pouvais mener l’existence la plus agréable, la plus élégante sans dissiper sottement mon patrimoine ? J’ai conservé ce spirituel budget de mes recettes et de mes dépenses écrit de votre main. Il devrait être le code des jeunes gens du monde.

— Mes enseignements, si peu conformes à mes actes, prouvaient une fois de plus la justesse de cet adage : « Fais ce que je dis et non ce que je fais, » reprit Charles Delmare avec un demi-sourire mélancolique. — Je vous conseillais fort sagement de ménager votre fortune et j’achevais de dissiper la mienne.

— Soit ; mais cette contradiction entre vos actes et vos paroles n’enlevait rien à l’excellente pratique de vos conseils dictés par l’expérience. Je leur ai dû la science de jouir des plaisirs sans me ruiner bêtement comme tant d’autres. Enfin, grâce à vous, j’ai peut-être échappé deux ou trois fois à la mort.

— Est-ce une plaisanterie, mon cher Richard ?

— Pas du tout. Rappelez-vous donc que l’un des premiers con-