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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/430

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de Charles Delmare, cédèrent momentanément, et non sans lutte, à la pensée du salut de Maurice.

— Monsieur, — dit Charles Delmare, — au nom du douloureux sentiment dont elles sont l’expression, j’excuse et je dois excuser la violence de vos paroles. Nous nous revoyons aujourd’hui pour la dernière fois. Je sais quelle révélation vous a été faite à mon sujet, — ajouta Charles Delmare, tandis que M. Dumirail, les yeux fixés sur le parquet, gardait un morne silence, éprouvant une humiliation nouvelle en se retrouvant encore l’obligé d’un homme dont il avait méconnu l’amitié, méprisé les sages avis, en rompant brutalement avec lui. — Croyez-moi, monsieur, — reprit Delmare d’un ton pénétré, — je ne me serais pas présenté chez vous, s’il ne s’agissait, je vous le répète, de sauver la vie de Maurice. Puisse cette certitude, je ne dirai pas détruire, je ne peux l’espérer… mais vous faire oublier, durant quelques moments d’entretien, la pénible impression que doit vous causer ma présence.

— Parlez, monsieur, — dit M. Dumirail d’une voix sourde, et baissant toujours les yeux, afin de ne pas rencontrer le regard de Charles Delmare. — Je vous écoute, il le faut bien, hélas !… la vie de mon fils est en jeu.

— Je vous aurais, monsieur, épargné cet entretien, si j’avais pu m’adresser à madame Dumirail ; mais, au seul mot de duel, son épouvante eût été telle, que j’ai dû forcément venir à vous. Je serai bref et n’abuserai pas de vos instants. Voici les faits : hier, à souper…

— Mon fils, étant ivre, a insulté M. d’Otremont, dangereux spadassin, je sais cela. Les témoins de cet homme se sont ouverts à moi, ignorant d’abord que j’étais le père de Maurice.

— C’est, en effet, ce que m’ont appris les amis de M. d’Otremont. Je les ai vus tout à l’heure chez lui.

— Ainsi, ce duel ?…

— Pardon, monsieur, je viens, à ce propos, de prendre une précaution négligée par vous. J’ai, en entrant, demandé à Josette si Maurice était levé ; elle m’a répondu qu’il dormait encore. J’ai fermé sa porte à double tour, et j’en ai gardé la clef. Il est indispensable que Maurice ne sorte pas ce matin sans moi.

— Mon fils… vous accompagner ?…

— Je vous interromps, monsieur, parce que je devine votre pensée, — reprit tristement Delmare. — Par la même raison que cet entretien sera le dernier que j’aurai avec vous, je cesserai désormais toute relation avec votre fils, lorsque je lui aurai rendu le service que je crois pouvoir lui rendre… Voici donc ce qui s’est