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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/450

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roles bien graves ! Si par malheur elles étaient vraies, notre famille serait flétrie d’une honte nouvelle, et alors, monsieur, de quel droit nous accuseriez-vous ? Ne serions-nous donc pas dégagés de toute responsabilité envers une jeune personne que nous avions crue jusqu’ici la fille de mon infortuné frère, tandis qu’elle ne serait, en réalité, pour nous qu’une étrangère ?

— Une étrangère ! — s’écria Charles Delmare éclatant d’indignation ; — Jeane pour vous une étrangère ! elle qui vous chérissait comme la plus tendre des filles ! elle qui, par ses riantes vertus, charmait votre vieillesse ! elle qui, en partageant l’amour de Maurice, assurait à jamais son bonheur et le vôtre, si votre funeste orgueil n’avait détruit cet heureux avenir !

Et Charles Delmare poursuivit avec un geste de malédiction :

— Ah ! qu’à jamais retombent sur vous votre ingratitude et votre criminel abandon de l’orpheline confiée à vos soins ! Cet abandon lève mes derniers scrupules. Je rentre dans mes droits, sachez-le donc… Elle m’appartient désormais, celle qui n’est plus pour vous qu’une étrangère ! Elle est à moi, l’orpheline que vous avez livrée à un monstre d’astuce et de perversité. Oui, Jeane est l’enfant de l’adultère !… Jeane est ma fille… Contre San-Privato, je saurai la défendre, au nom de ma paternité !

M. et madame Dumirail, ne pouvant plus douter de ce qu’ils regardaient comme une nouvelle honte pour leur famille, gardaient un morne silence ; Maurice, partagé entre la douleur que lui causait le départ de Jeane et la jalousie qu’il ressentait contre San-Privato, murmurait tout bas :

— Il faudra pourtant que je me venge d’elle ou de lui !

— Oui, Jeane est ma fille ! — reprit Charles Delmare avec une amertume et une indignation croissantes ; — soyez maudits ! soyez punis ! vous tous qui avez perdu mon enfant ! Soyez maudit, monsieur Dumirail ! votre ambition insensée a été la source de tout le mal. Et vous, madame, soyez maudite ! votre injustice a révolté la fierté de Jeane, votre faiblesse ou votre insouciance coupable n’a mis aucun obstacle à son départ ! Soyez maudit, Maurice ! vous que j’aimais tant, parce que ma fille vous aimait ; vous que j’ai aujourd’hui sauvé de la mort, soyez maudit !… Jeane vous avait donné son cœur, sa foi, sa vie !… À son pur et vaillant amour, vous avez préféré les feintes caresses d’une prostituée qui vous bafouait, en attendant l’heure de vous faire égorger…

— Que dit-il ? — s’écria Maurice abasourdi des paroles de Charles Delmare, qui continuait ainsi :

— Oui, malheur à vous, Maurice ! si votre abjecte inconstance