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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/452

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d’Antoinette, Maurice, agité de vagues soupçons, commença de pressentir la réalité de la trame ourdie contre lui ; mais, par une contradiction moins étrange qu’elle ne le paraît, sa passion sensuelle pour madame de Hansfeld, loin de s’apaiser ensuite de ces doutes odieux, s’irrita davantage et s’augmenta, si cela se peut dire, des ressentiments que lui causait l’inconstance de Jeane, qu’il croyait éprise de San-Privato ; il eût été trop cruel pour l’amour-propre de Maurice de perdre à la fois sa maîtresse et sa fiancée.

M. et madame Dumirail, ignorant le sujet des réflexions de leur fils, et le croyant encore, ainsi qu’ils l’étaient eux-mêmes, sous l’impression des sinistres prophéties de Charles Delmare, se consultèrent du regard, et, après un moment de recueillement, M. Dumirail reprit d’un ton grave et tendre :

— Mon fils, tu as entendu tout à l’heure les funestes prédictions d’un homme que nous avons pendant longtemps dû croire notre meilleur ami ; lui-même nous a tout à l’heure révélé la cause de l’affection qu’il nous témoignait. Il voulait, en s’introduisant dans notre intimité, se rapprocher de sa fille… puisque le malheur a voulu, pour la honte et le deuil de notre famille, que M. Delmare ait tué en duel mon frère Ernest, et que Jeane, au lieu d’être véritablement notre nièce, soit le fruit d’un amour adultère. Cette dernière révélation diminuera sans doute les regrets que t’inspire l’inconstance de celle qui fut ta fiancée.

— J’ai trop de dignité, mon père, pour jamais regretter Jeane.

— Elle ne mérite, en effet, que ton oubli ; notre tendresse saura suppléer à l’affection qui te manque, et, plus tard, un autre mariage comblera sans doute tes vœux et les nôtres, car, j’en suis certain, les odieuses prophéties auxquelles je faisais allusion tout à l’heure seront démenties par nous, comme par toi, Maurice. Non, nous ne serons pas, ainsi que l’a dit M. Delmare, punis dans notre fils !

— Ah ! mon père, gardez-vous de le croire !

— Cette assurance de ta part nous donne bon et ferme espoir dans l’avenir, cher enfant ! — ajouta madame Dumirail ; — je parle de l’avenir, parce que nous devons tous oublier le passé ; tous, nous avons eu nos torts…

— Toi seule exceptée, bonne et chère femme ! — reprit affectueusement M. Dumirail. — Ton rare bon sens, ta sollicitude maternelle prévoyaient ce que mon aveuglement me cachait, et…

— Pardon, mon ami, nous sommes convenus d’oublier le passé. Il est triste, il est pénible pour tous, et, quoique ton indulgence