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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/479

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tés de chambres mansardées, dont l’une, ainsi qu’un cabinet y attenant, étaient occupés par Charles Delmare et Geneviève. Nous le répétons, rien de plus sombre, de plus misérable que l’aspect de cette demeure : un papier souillé, déchiré en maints endroits et sans couleur distincte, couvrait les murailles ; deux petits rideaux à carreaux rouges et blancs cachaient à demi le vitrage de la croisée ; un mauvais grabat, une commode sans serrure, une table boiteuse, deux chaises de paille délabrées composaient le mobilier de cette mansarde. On y entrait par une porte disjointe ; une autre porte s’ouvrait sur le cabinet, formé par l’appentis de la toiture, où était percée une fenêtre en tabatière ; un lit de sangle et une chaise meublaient ce cabinet, occupé par la vieille nourrice. Fidèle à ses habitudes d’ordre et de propreté minutieuse, elle s’était, mais en vain, ingéniée à rendre d’un aspect moins repoussant le logis temporaire de son fieu, lavant le carrelage et les vitres, frottant d’un morceau d’étoffe de laine le bois de la commode vermoulue ; mais, malgré tant d’efforts, la misérable demeure n’en conservait pas moins son aspect sordide et désolé.

Le lendemain du jour où madame de Hansfeld avait conduit Maurice à Belleville, afin de le soustraire aux recherches de sa famille, Charles Delmare, vers les onze heures du matin, écrivait, assis devant la table boiteuse, tandis que Geneviève versait le contenu d’un pot de lait dans une petite écuelle de terre, qu’elle venait de soigneusement laver et essuyer.

— Et ils ont le front d’appeler cela du lait ! — murmura la bonne femme ; — c’est encore bien pis qu’autrefois, quand j’habitais Paris. Au moins, dans ce temps-là, ils se contentaient de baptiser le lait, tandis que je me demande ce que peut être ce mélange blanchâtre, gluant… Ah ! quelle différence avec notre bon lait crémeux du Jura !

Et, soupirant en regardant Charles Delmare, toujours écrivant avec une sorte d’activité fébrile, et remarquant ses traits, profondément altérés par le chagrin et par l’insomnie, la nourrice ajouta :

— Hélas ! il y a bien d’autres différences entre notre vie du Jura et celle d’ici. Ah ! que je la regrette, notre maisonnette bien aérée, bien claire, toujours égayée par un rayon de soleil, entourée de notre jardinet fleuri où caquetaient nos poules. Ah ! que je la regrette, ma petite cuisine, avec sa vaisselle où l’on aurait pu se mirer, je peux le dire… et le salon, avec son bon tapis, ses meubles commodes, ses tableaux qui plaisaient à l’œil de mon