Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/492

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Vous pourriez, ma chère, me répondre plus poliment lorsqu’il s’agit d’une chose aussi grave. Ce bruit nocturne m’a effrayée ; je craignais que des malfaiteurs ne se fussent introduits dans la salle à manger, afin d’y voler mon argenterie.

— Ah bien ! en voilà des voleurs qui auraient été fièrement volés s’ils avaient fait ce coup-là, les malheureux !

— Qu’est-ce à dire, mademoiselle ?

— Votre argenterie ?… Laissez-moi donc tranquille, c’est du métal d’Alger.

— Comment ! vous osez ?…

— Ah çà ! est-ce que vous croyez, madame, qu’on a la berlue ? Je vous répète que votre argenterie est du métal d’Alger, aussi vrai que ces boutons de diamants que vous avez aux oreilles sont du stras.

— Insolente ! si je n’avais pitié de vous, je…

— Si vous aviez pitié de moi, madame, faites-moi donc le plaisir de me payer mes gages, s’il vous plaît ; trois mois d’arriéré… merci du peu !

— J’ai bien voulu, mademoiselle, afin de vous engager à patienter, vous apprendre que mes fermiers étaient en retard.

— Bah ! vos fermiers, encore du métal d’Alger !

— Ah ! ma pauvre Catherine, — reprit madame San-Privato d’un ton doucereux et dissimulant sa sourde colère sous son patelinage habituel, — si vous n’aviez pas aussi bon cœur que vous avez mauvaise tête, vous seriez la plus désagréable servante que l’on puisse imaginer ; mais je tolère bien des choses, parce que vous m’êtes, je le sais, très-attachée.

— Entendons-nous, madame ; si je vous suis attachée, c’est par la chose de mon arriéré de gages, y compris la somme que vous me devez pour avances ; sans quoi, il y a fièrement longtemps que je ne serais plus ici.

— Allons, allons, vous vous faites plus méchante que vous ne l’êtes ; car, au fond, Catherine, vous avez du bon, beaucoup de bon !

— Ta ta ta ! vous voulez encore m’entortiller avec vos câlineries, madame, comme lorsque vous m’avez décidée à vous accompagner au Morillon, où je devais enfin toucher mes gages ; votre frère vous prêterait, disiez-vous, une grosse somme ; mais va-t’en voir s’ils viennent ! Aussi, vous ne me ferez plus aller de la sorte, et si, à la fin du mois, vous ne me payez pas mes gages, ce qui fera quatre mois, y compris le courant, et, de plus, les deux cent vingt-sept francs que vous me devez pour avances, je