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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/555

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croirai jamais qu’au moment où tu viens de me protester de ton dévouement et de ta tendresse, dont j’ai tant… tant besoin… tu le sais ! tu puisses, je le répète, seulement penser à te séparer de moi ?

— Garde-toi de le supposer, mon père ; mon seul désir, au contraire, est d’aller avec toi habiter un quartier solitaire de Paris, de ne pas te quitter ; mais, encore une fois, me mettre en route avec toi dans la persuasion où je suis que tu exposes ainsi très-gravement ta santé, jamais je n’y consentirai, non ! Aucune puissance humaine, pas même la tienne, et c’est tout dire, ne pourra ébranler ma détermination à ce sujet.

L’accent de Maurice, en prononçant ces derniers mots, devient tellement ferme et significatif, que sa résolution de rester à Paris, malgré la mort et les dernières volontés de sa mère, ne put dès lors être davantage mise en doute par M. Dumirail ; et, pendant un moment, cette découverte le jeta dans un profond accablement.

Maurice, regrettant sa mère et touché de ses dernières et miséricordieuses paroles, était, non-seulement résolu à porter son deuil et à honorer sa mémoire comme il convient ; mais il pressentait même que, pendant un certain temps, la douceur de sa liaison avec madame de Hansfeld serait empreinte d’une sorte de mélancolie douce ; enfin il se proposait, comme un devoir sacré, de porter de temps à autre, en compagnie d’Antoinette, des couronnes d’immortelles et des fleurs sur la tombe maternelle ! Certes, le fils de famille était, on le voit, résolu à faire, ainsi qu’on le dit, largement les choses ; mais quant à s’en aller sur l’heure s’enterrer avec son père au Morillon, afin d’y pleurer incessamment la défunte dans une solitude funèbre, et d’y reprendre ses occupations laborieuses et rustiques d’autrefois ; mais quant à renoncer ainsi à madame de Hansfeld et aux plaisirs de Paris, alors qu’il héritait de cinq à six cents beaux mille francs sonnants et trébuchants, un pareil renoncement était et devait être au-dessus des forces de Maurice et de tous les fils de famille, dans une position analogue à la sienne. Il avait sincèrement proposé à M. Dumirail d’aller avec lui passer les premiers temps de leur deuil dans quelque quartier solitaire ; il eût tenu parole, et consacré à consoler son père les moments que madame de Hansfeld lui eût laissés libres. Là se bornait le dévouement possible de cet excellent fils. Rendons-lui justice, il avait même un instant eu la pensée, touché de la douleur déchirante de son père, de l’accompagner au Morillon et d’y séjourner près de lui durant quelques jours ;