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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/562

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sincérité de ce mouvement si naturel de votre part, et maintenant, au moment de nous séparer pour toujours, écoutez-moi bien, monsieur.

— Que dites-vous, mon père ?…

— Je dis, monsieur, que vous me voyez aujourd’hui pour la dernière fois.

— Mais de cette séparation, éternelle selon vous, mon père, quel est le motif ? — reprend Maurice de plus en plus surpris et frappé de l’accent et de la physionomie inflexible de M. Dumirail. — En quoi ai-je donc mérité votre courroux ?

— Cette question, si elle est sincère, et elle doit l’être, me prouve que votre âme est encore plus pervertie que je ne le pensais ; mais cet entretien m’est odieux, j’ai hâte d’y mettre fin. Deux mots cependant : vous êtes majeur et maître de vos actions, m’avez-vous dit ce matin ; soyez libre, usez du droit que la loi vous accorde ; méconnaissez mon autorité. Quant aux étranges prétentions que vous éleviez ce matin sur ma fortune, je vous répondrai ceci : Un père, même dans la situation de fortune où je me trouve, ne doit à son fils que le nécessaire, et non le superflu ; or, je vous devais et je vous ai donné le nécessaire, à savoir, le pain du corps et le pain de l’âme, l’éducation morale qui forme, élève, développe l’esprit humain, et l’éducation physique, qui rend la constitution robuste ; le père doit encore à son fils l’instrument du travail, à savoir, les connaissances, l’instruction nécessaire pour parcourir une carrière honorable ; enfin, dans l’hypothèse d’infirmités précoces ou d’événements qui peuvent briser la carrière de son fils, un père lui doit encore une rente suffisante à sauvegarder son avenir : voilà les devoirs du père. Ces devoirs accomplis, il reste maître absolu de ses biens, et, au nom de la raison, de la morale et de l’équité, il n’en doit plus une parcelle à son fils, si considérables qu’ils soient. Ces devoirs paternels, je les ai largement accomplis envers vous, monsieur. Je vous ai donné une excellente éducation ; vous êtes robuste, et vous possédez les connaissances nécessaires à un bon agriculteur.

— Je rends hommage à tous les soins que vous m’avez prodigués, mon père, et je…

— Monsieur, ce sont là des mots, il s’agit de faits. J’ai donc scrupuleusement rempli mes devoirs envers vous, en ce qui touche le passé ; quant à l’avenir, je suis dispensé d’y pourvoir. Vous possédez à cette heure l’héritage de votre mère, plus de cinq cent mille francs, vingt-cinq mille livres de rente ; non-seulement l’aisance, mais la richesse.