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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/571

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dit M. d’Otremont se frottant les mains avec une expression de contentement haineux et comme s’il eût puisé dans les renseignements du notaire la certitude de satisfaire une vengeance. — Ainsi, cher monsieur Thibaut, pourvu que je me montre le plus révérencieux des fesse-Mathieux envers ma moitié, ainsi que vous le dites, il faut qu’elle ronge son frein, et qu’adorant le bien-être, le luxe, elle se résigne à vivre presque dans la misère ?

— Évidemment, puisqu’elle ne pourrait obtenir une séparation de biens et de corps qu’en témoignant de vos ruineuses prodigalités ou de vos mauvais traitements. C’est justement ainsi que j’ai obtenu contre Athénaïs : primo, ma séparation de biens ; secundo, ma séparation de corps… et quel corps ! cinq pieds six pouces, un embonpoint plus que proportionné à sa taille ! On la dit maintenant monstrueuse. Jugez du poids énorme dont j’ai été allégé par ma séparation ; car, hélas ! hélas ! mon cher client, j’étouffais en ménage, moralement et physiquement…

— Ah ça ! cher monsieur Thibaut, j’aime à croire que vous n’aviez pas à reprocher à Athénaïs de s’être livrée à des sévices graves contre votre personne ?

— Contre moi ? Non pas !… Ma femme ne m’aimait point assez pour cela ; mais, dans une querelle de jalousie, elle a, d’un coup de pincette, cassé un bras au meilleur maître clerc que j’aie eu de ma vie, un charmant garçon, nommé Armand, plein de savoir, d’intelligence, de probité. Il possédait toute ma confiance ; mais, dame ! après qu’Athénaïs lui a eu cassé un bras, il n’a plus voulu remettre les pieds chez nous, ce pauvre Armand, de crainte d’avoir les membres brisés les uns après les autres ! Alors, ma foi ! la perte de mon maître clerc m’a exaspéré, j’ai intenté ma demande en séparation contre Athénaïs, non parce qu’elle cassait les bras à mes clercs, mais parce qu’elle faisait en toilette des dépenses extravagantes, sans parler des cadeaux à ses galants. Vous comprenez, avec une tournure et une figure pareilles aux siennes, il faut qu’une femme s’exécute ; et cependant, c’est justement à cause de sa laideur que je l’avais épousée, cette énorme trompeuse d’Athénaïs.

— Trompeuse !… Il me semble pourtant, cher monsieur Thibaut, que, selon vous, sa figure et sa tournure tenaient au moins ce qu’elles promettaient ?

— Au contraire ; je m’étais dit : « Athénaïs a trente ans, elle est veuve, et, quoiqu’elle ait, de son premier mariage, un fils nommé Blanchard (par parenthèse, le plus hargneux, le plus méchant petit bossu qui ait été marqué au B), la fortune person-