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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/573

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M. Maurice Dumirail désire vous parler tout de suite, monsieur, pour une affaire très-urgente.

— Que le diable l’emporte ! — répond brusquement M. Thibaut devenu soudain soucieux ; dites-lui que je suis occupé, que je ne peux pas le recevoir, ou mieux… que je suis sorti ; c’est le seul moyen de me débarrasser de lui.

— Nous avons dit, monsieur, que vous étiez dans votre cabinet.

— Eh bien, qu’il attende, et s’il s’ennuie d’attendre, qu’il s’en aille ; surtout, ne le retenez pas.

Le clerc s’incline et sort, laissant son patron seul avec Richard d’Otremont.

Le nom de Maurice Dumirail avait paru causer une impression aussi désagréable à M. d’Otremont qu’au notaire, et celui-ci, lorsque son clerc eut quitté son cabinet, s’écrie :

— Maudit soit le quémandeur ! je me croyais débarrassé de lui ; car je n’en avais pas entendu parler depuis six mois ! Il vient sans doute me carotter encore un emprunt de quelques centaines de francs ; quand je dis emprunt, je suis poli, c’est une aumône que je devrais dire ; mais, assez de charité, j’ai mes pauvres. Ce drôle-là m’a ainsi soutiré, par petites sommes, près de trois mille francs, sous prétexte que j’étais son notaire au temps de sa fortune ; mais il y a beaux jours que ce temps-là est passé. Il s’est ruiné bêtement, ainsi que tant d’autres fils de famille, oisons de la même volée. Tant pis pour lui, et…

Puis, remarquant l’air soucieux et le silence de M. d’Otremont, le notaire ajoute :

— À quoi pensez-vous donc, mon cher client ? Vous semblez attristé.

— Je pense, en effet, à quelque chose de fort triste.

— Qu’est-ce donc ?

— Ce quémandeur dont vous parlez aujourd’hui avec un si juste dédain, Maurice Dumirail, qui, maintenant, selon ce que j’ai appris de source certaine, est dégradé à ce point qu’il vit aux dépens des femmes…

— Quoi !… vous croyez que ce malheureux-là ?…

— Je suis assuré de ce que je vous dis, et, cependant, j’ai vu Maurice Dumirail, il y a de cela cinq ou six ans, débarquer tout frais, tout naïf de ses montagnes ; la candeur, la franchise, la physionomie attrayante et ouverte de ce tout jeune homme m’avaient inspiré une vive sympathie ; cependant, par suite de circonstances bizarres, j’ai été sur le point de le tuer en duel.