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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/575

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qui m’a apporté cinq cent quarante mille francs, montant de la succession de feue madame Dumirail, ainsi que trente-trois mille francs composant la fortune de sa nièce, mademoiselle Jeane Dumirail, plus tard connue sous le nom de San-Privato, dont on a tant et tant parlé. Mon Dieu ! qu’elle était donc ravissante et séduisante, ma chère cliente ; car elle était et est encore ma cliente, madame San-Privato.

— Ah ! — reprend M. d’Otremont, de qui la figure devient mélancolique et pensive, — madame San-Privato a été, pendant trois hivers, la femme la plus recherchée, la plus à la mode de Paris ! Dieu sait si la moitié des aventures qu’on lui a prêtées étaient réelles ; mais, en admettant même cette réduction, notre diabolique doña Juana, ainsi qu’on l’appelait dans le monde, aurait pu, disait-on, comme son modèle et son homonyme masculin, don Juan, inscrire sur son amoureux calendrier l’effrayant : Mille e tre.

— Ce qui signifie en bon français ?

— Mille et trois.

— Mille et trois galants ! Excusez du peu ! Quelles histoires on fait dans le monde ! elles sont vraiment incroyables.

— Malheureusement, si incroyables qu’elles soient, le méchant les croit, ou plutôt feint d’y croire, non que je veuille nier les scandaleuses aventures de madame San-Privato ; elles n’ont été que trop réelles et trop retentissantes ! Mais quelles tempêtes de haines acharnées, de calomnies odieuses ou stupides cette jeune femme a soulevées contre elle, tantôt par son audace, tantôt par ses dédains ; n’a-t-on pas eu l’infamie de prétendre qu’elle se vendait ! elle la délicatesse, la fierté même, malgré le désordre de ses mœurs !

— Ah ! mon cher client, que vous me faites plaisir en me parlant ainsi ! car, du moins, à ce sujet, madame San-Privato est irréprochable ; moi, son notaire, je le sais mieux que personne : je vous l’ai dit, sa fortune se montait à la somme de trente-trois mille et quelques cents francs, il y a cinq ans de cela ; eh bien, depuis son mariage, elle a prélevé chaque année cinq mille francs sur son capital, pas un liard de plus… et, avec cette somme, elle suffisait à sa toilette, à toutes ses dépenses personnelles ; car telle est sa délicatesse qu’avant d’être séparée de M. San-Privato, elle m’a dit cent fois qu’elle tenait à honneur de ne pas coûter un centime à son mari. Elle lui payait deux cents francs par mois de pension pour son logis et sa nourriture ; elle employait ce qui lui restait à ses autres dépenses ; enfin, depuis sa