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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/580

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— Maurice Dumirail affirme (et je la crois capable de cette infamie) que la Hansfeld lui a proposé d’entrer avec elle de compte à demi dans une prétendue spéculation, et qu’elle lui a ainsi volé, c’est le mot, environ cent mille francs ; car il va sans dire qu’il n’existait d’autre spéculation que celle de dépouiller ce malheureux.

— Quant à cela, je l’avoue, la baronne est une commère beaucoup trop défiante et madrée en affaires pour se lancer dans les spéculations. Elle place solidement ses capitaux en premières hypothèques, ou bien encore, elle achète, ainsi qu’elle l’a fait dernièrement, une magnifique ferme en Beauce, d’un rapport net de vingt-sept bonnes mille livres de rente ; en un mot, elle a tellement horreur de ce qui peut ressembler à de la spéculation, qu’elle n’a jamais voulu acheter une seule action de chemin de fer. Aussi, je ne connais pas de fortune plus claire, plus solide que celle de la baronne. Peste ! savez-vous qu’en valeurs mobilières et immobilières, son avoir se monte, selon son dernier inventaire, à plus de deux millions trois cent mille francs, sans compter ses diamants ?

— Ah ! cher monsieur Thibaut, vous n’imaginez pas le plaisir que j’ai à vous entendre ! Vous me ravissez en m’apprenant que la Hansfeld est si riche.

— Vraiment ?

— Je voudrais qu’elle fût dix fois plus riche encore.

— Elle que vous haïssez si fort, mon cher client ?

— C’est justement parce que je la hais de tout mon cœur, que je voudrais la voir dix fois plus riche qu’elle ne l’est.

— Encore une charade.

— Mais tous ces biens, la Hansfeld les possède sous son nom ? — demande Richard d’Otremont après un moment de réflexion, — sous son véritable nom ?

— Certainement : sous le nom d’Antoinette, baronne de Hansfeld. Sous quel nom voulez-vous qu’elle possède ?

— C’est juste, — reprend M. d’Otremont, ne disant pas évidemment toute sa pensée.

Puis, se levant et tendant la main au notaire :

— Adieu, cher monsieur Thibaut ; mille fois merci encore de votre consultation judiciaire ; et, à ce sujet, encore une question, ce sera la dernière. Je me suis, vous le savez, supposé marié…

— Oui ; et, de retour d’un long voyage, vous trouvez votre femme millionnaire ; en suite de quoi, selon votre droit, vous prenez l’administration des biens de la communauté.