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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/587

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giner l’angoisse que trahit le regard ardent et fixe de Maurice pendant que le notaire lit la lettre de madame de Hansfeld ; mais, pressentant pour ainsi dire le moment où maître Thibaut allait lever les yeux sur lui, le jeune homme, restant maître de lui-même, quoique une sueur froide baigne ses tempes, cache son inquiétude sous l’impassibilité de sa physionomie, et il s’occupe à lisser complaisamment les flots de son épaisse barbe brune. En ce moment, le notaire, après la lecture de la lettre, contemple le messager avec un étonnement mêlé de doute ; mais ce doute est presque entièrement dissipé de son esprit par l’apparente impassibilité de Maurice. Le jour baissait, le cabinet devenait assez obscur. M. Thibaut s’éloigne de son bureau, se rapproche de l’une des fenêtres, lit de nouveau la lettre de madame de Hansfeld avec un redoublement d’attention, et de nouveau le regard de Maurice s’attache avec une effrayante anxiété sur le notaire. — Le billet d’Antoinette était ainsi conçu :

« Veuillez, mon cher monsieur Thibaut, remettre à Maurice Dumirail cinquante-deux mille francs, qui, avec huit mille francs que j’ai chez moi, compléteront soixante mille francs, dont j’ai besoin avant ce soir.

« Je dis cinquante-deux mille francs, dont ce billet vous servira de reçu.

« Mille amitiés.

« Baronne de Hansfeld. »

— Cette lettre est pourtant bien de l’écriture de ma cliente, — se disait le notaire ; — il est impossible de s’y tromper, ce n’est pas moi surtout qui m’y tromperais !… Néanmoins, comment se fait-il que, dans le billet qu’elle m’a écrit il y a une heure, elle ne me dise pas un mot d’une demande de fonds aussi considérable ? Cette circonstance avait éveillé mes premiers doutes, d’autant plus que je crois ce rufien capable de tout, même de commettre un faux ! infamie non pire, à mes yeux, que de vivre aux dépens d’Athénaïs, car je ne suis pas dupe des dénégations qu’il m’a opposées. Il est devenu pourpre au nom de mon atroce épouse ; il l’aurait donc abandonnée, ce que je comprends du reste, pour redevenir le galant de la baronne ? Il faut qu’il en soit ainsi, car, encore une fois, ce billet est évidemment de la main de ma cliente. Mais, j’y songe, la missive qu’elle m’a tantôt adressée est là : comparons-les l’une à l’autre.

M. Thibaut revient à son bureau, prend la lettre qu’il a reçue