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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/624

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— À la garde !… au meurtre !… au secours !… à l’assassin !…

Les incidents précédents se sont passés avec la rapidité de la pensée. À l’aspect de madame Thibaut qui a roulé sur le plancher du salon et y reste sans mouvement, la face bleuâtre, le regard vitreux, l’écume aux lèvres, Jeane, ne doutant pas que cette malheureuse n’ait été tuée par Maurice, frissonne, devient livide, se sent près de défaillir ; sa présence d’esprit l’abandonne, elle ne peut prononcer une parole et se laisse choir sur un siége, agitée d’un tremblement convulsif. Maurice, voyant le bossu se précipiter vers la porte extérieure en criant : « À l’assassin ! » se sent perdu… Il se souvient des menaces du notaire ; celui-ci a déposé sa plainte au parquet, un mandat d’arrêt est déjà lancé, de sorte que, si les cris de Mathurin Blanchard sont entendus, Maurice risque d’être arrêté sous la double prévention de meurtre et de faux. Or, la logique du crime est d’une irrésistible fatalité ; il n’est qu’un moyen d’échapper à l’arrestation : c’est d’empêcher le bossu de la provoquer en continuant d’appeler à l’aide ; aussi, au moment où il se dirigeait vers la porte extérieure, Maurice le repousse d’un coup de pied lancé avec une telle furie, qu’atteint en pleine poitrine, en raison de l’exiguïté de sa taille, le bossu va rouler dans le salon, tombe renversé sur le corps de sa mère en vomissant des flots de sang, et se débat faiblement en murmurant encore d’une voix agonisante :

— À… la… garde !… à l’assassin !…

— Et de deux !… le fils et la mère !… — s’écrie Maurice effrayant, après avoir fermé à double tour la porte du salon où gisent les corps.

Puis, revenant dans l’antichambre et s’adressant à Jeane d’un air égaré :

— Eh bien, ô fiancée de mon premier amour, tu as voulu entendre, tu as entendu ; tu as voulu voir, tu as vu ; es-tu contente ?

Jeane retrouve son sang-froid en présence du danger, se lève soudain, et dit à Maurice d’une voix ferme :

— Il faut fuir, je ne t’abandonnerai pas ; nous sommes maintenant à jamais l’un à l’autre ; tu m’appartiens, comme le coupable appartient au bourreau. Viens, viens ! les cris de ce malheureux n’ont pas été entendus. Viens, fuyons !…

— Il est trop tard. Regarde dans la rue, — balbutie Maurice, de qui les cheveux se hérissent en désignant à la jeune femme, à travers les carreaux de la croisée, un commissaire de police