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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/63

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rieuse, et partant plus méritante. Or, Albert deviendra certainement un homme très-éminent. Tu te souviens de ce que nous disait, il y a quatre ans, M. de Morainville : « Il y a dans votre neveu l’étoffe d’un homme d’État. » Quelle ligne, au contraire, suivra notre fils ? Mon Dieu, une ligne toute simple, toute droite ! il fera, comme moi, valoir ses terres ; sa vie s’écoulera paisible, obscure ainsi que s’est écoulée la nôtre, et fasse que ses enfants et les enfants de ses enfants suivent son exemple ! Il ne sera pas, ainsi que le sera sans doute un jour son cousin, M. l’ambassadeur, brodé sur toutes les tailles, enrubanné de tous les grands cordons imaginables ; il ne sera pas appelé à décider, dans un congrès, de la destinée des nations ; non, notre fils sera tout uniquement M. Maurice Dumirail, propriétaire cultivateur, et ce titre, ma foi, en vaut bien un autre. De cela, chère Julie, que conclure ? Le voici : selon moi, tu éprouvais un regret légitime en reconnaissant que la condition sociale de notre neveu sera très-supérieure à celle de notre fils, et beaucoup plus méritante, parce que Maurice n’a qu’à se laisser aller au courant de sa vie actuelle pour être heureux… Or, chère Julie, cette appréciation très-équitable des faits n’a rien de commun avec l’envie.

— Tes paroles, mon ami, me soulagent, me rassurent.

Et, après un moment de silence, madame Dumirail ajouta souriante et embarrassée :

― Un mot encore, mon ami, et ne te moque pas trop de moi, quoique ma question participe à la fois de l’orgueil et de la modestie maternelle ?

— Je t’écoute, Julie.

— Crois-tu, mon ami, en toute sincérité, que, placé dans les mêmes conditions que son cousin et embrassant la même carrière que lui, notre fils eût aussi brillamment débuté qu’Albert ?

— En toute sincérité, je le crois.

— Vrai ?… Tu ne me dis pas cela pour me flatter, pour rassurer ce pauvre amour-propre de mère, toujours si ombrageux, toujours si prompt à s’alarmer ?

— En mon âme et conscience, ma chère Julie, Maurice, doué comme il l’est d’une vive intelligence, d’une volonté énergique, persistant à tout ce qu’il entreprend, se serait distingué dans quelque carrière qu’il eût embrassée. Je dirai mieux, et cela non point pour flatter ton amour-propre de mère…

― Certainement ; mais dis vite, dis vite.

— Maurice aurait eu, je crois, sur son cousin, cette supériorité, que, dans l’attrayante franchise de son caractère bienveillant