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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/635

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XXX

Maurice Dumirail, surmontant l’effroi que venait de lui causer l’impitoyable réponse de doña Juana, rompit le premier le silence qui durait depuis quelques secondes, et reprit :

— Tu riais, Jeane, tu riais, tandis que San-Privato exhalait son désespoir en plaintes sublimes de passion et de souffrance. Ah ! tu nous vengeais terriblement tous deux de notre bonheur perdu, ainsi que tu le disais tout à l’heure ; c’est sans doute alors que, poussé à bout, il a tenté de te tuer ?

— Oui ; il disparut précipitamment dans la chambre voisine, et revint un instant après, tenant à la main une paire de pistolets « Tu vas mourir avant de naître, doña Juana ! me dit San-Privato. Tu t’es dévoilée trop vite, tu ne couvriras pas mon nom de ridicule et d’opprobre ! » Je ne réponds pas un mot à mon mari, je croise mes bras sur ma poitrine, je redresse fièrement la tête, je le regarde bien en face… Ah ! je l’avoue, en voyant l’expression implacable de ses traits, je me suis crue morte. Je vous ai donné, à mon père et à toi, Maurice, ma dernière pensée. San-Privato a appuyé le canon de son pistolet sur mon cœur, et, afin de mieux assurer le coup, je me souviens qu’il a écarté de mon sein mon bouquet de mariée…

— Achève ! tu es là près de moi, le péril est passé, cependant, je tremble malgré moi.

— San-Privato appuie le canon du pistolet sur mon cœur ; je ne sourcille pas… « Ah ! tu dois cent fois mourir, me dit-il : tant de sang-froid, d’intrépidité, font de toi une femme infernale… » Et, détournant la vue, il lâche la détente du pistolet ; mais, hasard étrange ! le coup ne part pas ; sais-tu quel fut alors le premier mouvement de San-Privato ?

— Il prend son second pistolet ?

— Il tombe à genoux, joint les mains, fond en larmes et s’écrie : J’ai voulu, en mon âme et conscience et par un effort surhu-