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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/652

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— Mais alors, que faire, Jeane ?

Au moment où Maurice prononçait ces mots, la voiture s’arrêta de nouveau, afin de relayer, non pas cette fois dans une ville, mais dans un bourg de peu d’importance.

Les anxiétés du fugitif, oubliées par lui durant le récit de Jeane, revenaient de nouveau l’assaillir ; cette fois, elles atteignirent à leur comble lorsqu’il aperçut, à la clarté des lanternes de la voiture, plusieurs chevaux de gendarmes attachés aux abords de la maison de poste ; deux ou trois de ces cavaliers, couverts de longs manteaux, se promenaient, comme s’ils eussent attendu le moment de mettre un ordre à exécution. En effet, à peine les postillons s’étaient-ils arrêtés, que Jeane vit l’un des gendarmes, après s’être consulté avec ses camarades, s’approcher, puis frapper à la vitre de l’une des portières.

— Cette fois, je suis perdu ! — balbutia Maurice en se rejetant au fond de la voiture par un mouvement machinal ; — on vient m’arrêter, c’est fini !

— Enveloppe-toi dans ton manteau et feins de dormir ; je vais répondre, — reprit Jeane, de qui la présence d’esprit ne se démentait pas.

Et, baissant la glace de la portière à laquelle elle s’avança de façon à complétement masquer l’intérieur de la voiture, la jeune femme dit au sous-officier, que l’un de ses gendarmes accompagnait muni d’un falot :

— Que voulez-vous, monsieur ?

— Ah ! c’est une dame ! — dit le sous-officier.

Puis, s’adressant au soldat :

— Éclairez-moi donc !

Le gendarme éleva le falot, qui illumina en plein la ravissante figure de Jeane. Le sous-officier la trouva si belle, qu’il fit machinalement le salut militaire ; il dit de sa voix la plus courtoise :

— Madame, votre passeport, s’il vous plaît ?

— Comment, mon passeport ? — reprit madame San-Privato avec hauteur et avec un accent de grande dame indignée, — est-ce que j’ai un passeport !… Pour qui me prenez-vous donc, monsieur ?

— Excusez, madame ; mais nous avons des ordres, et…

— Madame la marquise, le maître de poste assure que nous pourrons être arrivés demain soir à Genève, — vint dire le domestique, qui, devinant l’embarras de Jeane, lui apportait son concours. — Faut-il mettre tout de même à la poste la lettre que madame la marquise adresse à madame la duchesse ?