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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/676

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— Oui, c’est-à-dire non… Il venait de ce côté-ci… hum ! hum ! c’est-à-dire… il y venait sans y venir… parce que… enfin… Ah ! mon Charles… mon bon Charles !

Geneviève reste suffoquée après avoir balbutié ces paroles, dont l’incohérence et l’accent frappent enfin Delmare. Il sort de sa rêverie, lève les yeux sur la nourrice, et, l’examinant, il dit avec surprise :

— Qu’as-tu donc, Geneviève ? Tu es bien pâle !

— Moi… je suis pâle ?

— Comme une morte !

— Alors, c’est le froid qui m’aura saisie, c’est le froid ; car, vois-tu, mon Charles, il gèle à pierre fendre, et, quand j’ai ouvert la porte à… ces… non… à ce voyageur…

— Quel voyageur ?… Ta voix tremble… tu peux à peine parler.

— C’est que… c’est que…

— Voilà que tu pleures !… Qu’as-tu, Geneviève ?… Réponds, réponds… Quoi ! tu te tais ?…

— C’est le grand froid qui m’aura saisie… quand… Ah ! Seigneur Dieu ! j’étouffe…

— Il se passe ici quelque chose d’extraordinaire, — dit Charles Delmare de plus en plus surpris et inquiet de l’émotion de Geneviève.

Puis, faisant, malgré sa faiblesse, un mouvement pour quitter son fauteuil, il ajoute :

— Je vais…

— Charles… non… ne va pas là dedans ! — s’écrie la nourrice en se jetant au cou de son fieu et le forçant ainsi à se rasseoir.

Puis, l’embrassant avec une sorte de frénésie maternelle et ne contenant plus ses larmes, Geneviève éclate en sanglots, pleure et rit à la fois en balbutiant d’une voix entrecoupée :

— Mon Charles, du calme, du courage, promets-moi de ne pas te bouleverser… Ah ! le bon Dieu est avec les bonnes gens, je te l’ai toujours dit. Réjouis-toi… réjouis-toi…

Delmare, partageant l’émotion de sa nourrice, sans cependant connaître ni soupçonner la cause de cette émotion, lui dit :

— Voyons, bonne mère, de quoi s’agit-il ?… Tu m’engages à me calmer : je suis plus calme que toi ; tu m’engages à me réjouir : de quoi veux-tu que je me réjouisse ?

— Oui, je veux que tu te réjouisses, mais surtout que tu ne te bouleverses pas ; ce serait si dangereux, vu ta grande faiblesse…

— Pourquoi veux-tu que je me bouleverse ?

— Parce que la surprise, la joie… enfin, que veux-tu que je