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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/681

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doute, déshérité pour fonder une ferme-école au Morillon. Mais, prévoyant qu’un jour je serais, par mon inconduite, réduit à la dernière misère…

— Il vous a, par une clause spéciale de sa fondation, mis du moins à l’abri du besoin durant votre vie, en vous assurant le pain, le logis et le vêtement. Il m’a fait part de cette mesure lors de la seule entrevue que lui et moi ayons eue ici.

— Eh bien, cher maître, je viens, dans ma détresse, user des ressources que m’a léguées la prévoyante sollicitude de mon père ; car, du moins, cet héritage-là aura été à l’abri de mes dissipations.

— Cette résolution, Maurice, est honorable et courageuse ; elle prouve que, malgré vos égarements, votre cœur est resté honnête ; tant de prodigues, après leur ruine, demandent souvent aux expédients hasardeux, souvent à la bassesse, au vice, parfois, hélas ! au crime, les moyens de prolonger de quelques jours ces jouissances auxquelles ils ne peuvent renoncer ! Encore une fois, mon enfant, votre résolution vous relève à mes yeux, — ajoute Delmare ignorant la double accusation de faux et de meurtre qui pesait sur Maurice, et l’empêchait de profiter du dernier refuge que lui avait assuré la sollicitude paternelle. — Mais, je l’espère, mon ami, vous ne vivrez pas au Morillon dans une oisiveté stérile ?

— Non, cher maître ; j’utiliserai ma première éducation : peut-être pourrai-je rendre quelque service dans la ferme-école fondée par mon père.

— Ce serait la meilleure manière de réparer complétement vos torts. Bien, bien, mon ami, je ne saurais trop vous louer de cette généreuse détermination, d’autant plus, je vous l’avoue, qu’à votre âge, à vingt-six ans à peine, et après les précoces orages de votre vie, une pareille conversion…

— Touche au prodige, n’est-ce pas, cher maître ? Eh bien, voici l’enchanteresse qui a opéré ce miracle, — répond Maurice en désignant Jeane du regard. — Elle est revenue tout exprès de Florence pour me convertir, me ramener près de vous, dans nos montagnes, que nous ne devons plus quitter.

— Oui, mon père, telle est la vérité, — dit Jeane répondant à un regard de Delmare. — Ainsi donc, il est convenu que Maurice habitera le Morillon. Il viendra, si vous le permettez, passer chaque jour ses soirées avec nous, ce cher frère ; je dis ce cher frère… — ajouta Jeane d’un ton significatif, — et je ne reviendrai jamais à ce sujet, parce que Maurice n’a jamais été, ne sera