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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/69

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XI


Après quelques instants d’attendrissement causé par les touchantes paroles de madame Dumirail adressées aux deux fiancés, l’émotion de tous se changea en une douce quiétude de cœur ; M. Dumirail reprit :

— Vous le voyez, mes enfants, nos projets s’accordaient avec vos vœux. Dites-nous donc maintenant pourquoi tant de précipitation dans votre démarche de ce soir ? Pourquoi n’avoir pas attendu à demain matin, je suppose, pour nous faire part de vos désirs ?

Maurice et Jeane se regardèrent, semblant s’interroger et se dire : « En effet, pourquoi n’avons-nous pas attendu à demain ? » Mais Maurice, se recueillant, reprit avec l’accent d’une évidente sincérité :

— Je ne saurais, mon père, t’expliquer un fait dont je ne me rends pas clairement compte à moi-même… mais je te dirai par suite de quel enchaînement de pensées j’ai pris cette brusque résolution, après l’avoir soumise à Jeane.

— Nous t’écoutons, mon ami, — reprit M. Dumirail, — et surtout ne crois pas qu’en t’adressant cette question, ta mère et moi cédions à un simple mouvement de curiosité. Notre intention est plus sérieuse.

— J’en suis certain, mon père. Je vais te rapporter les choses ainsi qu’elles se sont présentées à mon esprit. Je te l’ai dit, j’ai soudain, tantôt, après la fenaison, ressenti que j’aimais Jeane autrement que comme une sœur. En revenant à côté d’elle à la maison, j’étais à la fois triste et joyeux ; je n’osais ni parler à Jeane, ni la regarder. Elle restait silencieuse, non moins embarrassée que moi. De retour dans ma chambre, j’ai pleuré sans savoir pourquoi je pleurais ; car parfois mon cœur bondissait d’allégresse : je ne sais quoi me persuadait que Jeane m’aimait… Cependant je pleurais ; ces larmes me soulageaient. J’ai ensuite éprouvé une vive contrariété en songeant à l’arrivée de ma tante