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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/703

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était ma femme, j’avais des droits sur elle, et seul, seul, au milieu des désordres de sa vie, j’ai toujours été impitoyablement repoussé, malgré la sincérité, malgré l’ardeur de ma folle passion !

Madame de Hansfeld. — Quoi ! ses mépris, le déshonneur dont elle t’a couvert et votre séparation n’avaient pas éteint en toi cet amour insensé ?

San-Privato. — Sa mort seule pouvait l’éteindre, ce fatal amour ! Mon Dieu ! combien j’ai souffert !… combien j’ai souffert !… Il ne se passait pas de jour sans que la ravissante image de Jeane s’offrît à ma pensée… Souvent, durant mes brûlantes insomnies, je pleurais ou je riais de rage ; ma jalousie féroce ou le funeste attrait de l’impossible avivait-il ma folle passion ? ou bien cette passion avait-elle laissé dans mon cœur des racines indestructibles ?… Je ne sais ; mais, je te le répète, Antoinette, la mort de Jeane pouvait seule me rendre le repos !

Madame de Hansfeld. — Que cette mort soit donc doublement bénie ! Te voilà libre et délivré de cette horrible obsession.

San-Privato. — Oui, me voilà libre, et doublement vengé d’elle et de Maurice… Ah ! leur suicide me prouve que je ne me trompais pas. Ils se sont aimés jusqu’à la fin… Rien n’a pu détruire ni remplacer dans leur cœur ce premier amour que j’ai vu s’épanouir, il y a six ans, au Morillon, et qui, alors et depuis, m’a inspiré contre Maurice une inexorable jalousie, un impérieux besoin de vengeance, qui vient enfin d’être assouvi par la mort de ma femme et de son cousin… Et ce Delmare ?… Il ne leur survivra pas sans doute : ma vengeance est complète. Ah ! il me faut bien croire à mon étoile, malgré quelques éclipses qui l’ont assombrie…

Madame de Hansfeld. — Mais qui rendent maintenant sa lumière plus radieuse. Quel avenir s’ouvre devant toi, mon Albert ! Comblé des faveurs de ton souverain, il te rappelle de Berlin, où tu étais ministre, et te confie, à toi, si jeune encore, la direction des affaires étrangères de ses États, et tu peux épouser cette riche héritière qui s’est affolée de toi ! Elle est, il est vrai, malgré ses trois millions de fortune, laide à faire peur.

San-Privato, tendrement. — Mais tu es toujours si belle, Antoinette ! Ah ! plus que jamais, je dois bénir mon étoile !

Madame de Hansfeld, avec expansion. Ah ! mon Albert, quelle joie de pouvoir accomplir nos projets ! J’irai m’établir à Naples, où tu seras désormais fixé ; je passerai mes jours près de toi, en ménageant, ainsi que tu sais les ménager, les apparences. Dis, quel sort plus heureux maintenant que le mien ?… Te suivre dans le plus beau pays du monde, t’y voir chaque jour, vivre plus