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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/79

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homme d’esprit et de plaisir, joueur, gourmet, libertin, vivant largement, insoucieux de la dépense, la sœur de M. Dumirail, bien dotée, fort jolie, pétrie de vanité, capable des plus folles extravagances de toilettes, loin d’apporter la règle et une sage économie dans la maison de son mari, lutta de profusions avec lui ; cependant la naissance d’Albert, survenue au bout de quelques années de mariage, eût dû la faire songer à assurer l’avenir de cet enfant ; mais, se croyant certaine d’hériter de son frère Louis Dumirail, résolu, disait-il, de rester garçon et de laisser sa fortune à son neveu, madame San-Privato n’ayant, grâce à cet espoir, aucune inquiétude sur le sort de son fils, ne mit nul frein à ses prodigalités. Ce désordre matériel était accompagné d’un profond désordre moral dont, il faut le dire, M. San-Privato lui donnait l’exemple ; il affichait ouvertement pour maîtresse une fille d’Opéra ; madame San-Privato devint plus que galante, et, entre autres liaisons, en contracta une assez durable avec un certain comte de Bellerive, diplomate allemand, d’origine française, son père ayant émigré à Stuttgart, lors de la première révolution.

Ce M. de Bellerive, chargé d’affaires à Paris à la même époque où M. San-Privato était consul général de Naples, fut le père d’Albert, et influença profondément l’éducation de ce jeune homme. Les nombreuses galanteries de madame San-Privato demeurèrent toujours ignorées de son frère ; vivant au milieu des montagnes du Jura, n’ayant aucune relation à Paris, il ignorait complétement l’inconduite de sa sœur. Elle alla d’abord chaque été passer deux mois avec son fils auprès de M. Dumirail, afin de l’affectionner davantage à son neveu, qu’il regardait alors comme son héritier… Mais le tardif mariage de son frère et la naissance de Maurice brisèrent les espérances de madame San-Privato.

Cette femme sans cœur, sans mœurs, sans jugement, sans esprit, aimait cependant son fils, selon qu’elle pouvait aimer ; atterrée, puis révoltée de le voir privé d’un héritage considérable, qu’elle regardait comme la compensation future de ses dissipations présentes, elle ressentit une haine incurable contre sa belle-sœur et contre Maurice, que madame San-Privato, dans les emportements de sa cupidité déçue, accusait d’être le spoliateur d’Albert, de même qu’elle accusait M. Dumirail d’être un frère assez dénaturé pour sacrifier l’avenir de son neveu à un mariage odieusement ridicule ; elle se disposait, en conséquence, à écrire ab irato à M. Dumirail une lettre foudroyante, lorsque M. de Bellerive, resté son ami après avoir été son amant, et qui portait à Albert un intérêt paternel, conseilla à cette méchante écervelée de refréner