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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/91

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monsieur si mal vêtu pût avoir été la fleur des pois de son temps. Cependant, sans parler de sa figure, qui a dû être fort belle, je remarquais en lui certaine distinction fort singulière chez un provincial du Jura. Du reste, je n’aime point cet homme-là… Il a été fort poli, mais seul il ne paraissait pas sous le charme pendant le récit de tes voyages ; il a même souri plusieurs fois d’un air malveillant.

— Malgré sa malveillance à notre égard, c’est pourtant sur lui, ma mère, que je compte, si mes soupçons se confirment tout à fait, pour décider mon oncle, dans le cas d’un premier refus, à…

— À me prêter la somme dont j’ai besoin, — ajouta madame San-Privato avec une surprise profonde. — Est-ce là ta pensée ?

— À peu près.

— Tu parles sérieusement ?

— Très-sérieusement.

— Ce mystère est impénétrable pour moi.

— Ainsi mes questions sur le séjour du beau Delmare à Genève ne vous ont pas mise sur la voie ?

— Sur la voie… de quoi ?

— Décidément, ma mère, la pénétration n’est pas votre qualité dominante, et, puisque vous ne devinez rien, je garderai un secret dont vous pourriez involontairement, si vous le connaissiez, faire un usage nuisible à vos intérêts.

— Tu me prends donc pour une enfant ?

— Je crains qu’un mot imprudent, qu’un regard ne révèle, malgré vous, ce qui doit encore rester caché. J’ajouterai, d’ailleurs, que ce beau Delmare m’a été, non moins qu’à vous, très-antipathique à la première vue, et j’ai ce bonheur que mes antipathies sont généralement payées de retour : cela me prouve que mon instinct est sûr. Aussi, à tout hasard, j’avais chargé Germain de faire jaser les gens de mon oncle sur ce M. Delmare ; il est toujours bon d’être renseigné, autant que possible, à l’endroit des gens qui nous inspirent une certaine méfiance.

— Et qu’as-tu appris ?

— Plusieurs circonstances qui m’ont mis sur la voie de ce que je crois être la vérité. Du reste, dès demain, j’éclaircirai mes doutes. Bonsoir, ma mère, il est fort tard, j’ai une longue lettre à écrire… je ne saurais remettre cette occupation à demain, car je manquerais le courrier.

— Quel empressement ! Je devine, tu vas écrire à madame la marquise de Belcastel, cette ravissante jeune femme qui…

— Demain matin, avant votre lever, nous chercherons la ma-