Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/93

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

XVI

Charles Delmare, en quittant le Morillon, regagna sa demeure solitaire, profondément absorbé par les réflexions que lui suggérait l’arrivée de madame San-Privato et de son fils chez les Dumirail, et par les divers incidents de cette soirée de famille.

Geneviève, selon son habitude, attendait son fieu, assise dans la cuisine, filant sa quenouille à la clarté de la lampe ; soudain, elle prêta l’oreille du côté de la porte, et, se levant :

— Voilà mon Charles, j’entends son pas, je le reconnaîtrais entre mille !

Elle s’empressa d’aller ouvrir la porte extérieure de la maison, tenant sa lampe à la main, et, la lumière éclairant en plein les traits de Charles Delmare, la nourrice s’écria :

— Ah ! mon Dieu, comme tu as l’air triste ; il t’est donc arrivé quelque chose, mon pauvre fieu ?

— Bonne nourrice, — répondit Charles Delmare touché de la pénétration presque maternelle de Geneviève, — l’instinct de ton attachement est toujours sûr.

— Dame, ce n’est pas bien malin de voir que ta figure est toute changée depuis tantôt : tu étais sorti d’ici content, presque joyeux, et tu me reviens si chagrin, que ça saute aux yeux. Est-ce qu’il serait arrivé un malheur dans cette brave famille Dumirail ? Est-ce que ta fille ?…

— Non, il n’est arrivé malheur ni à ma fille ni à mes amis.

— Ah ! tu me rassures… je respire… Mais qu’est-ce donc qui te chagrine, alors ?

— Viens, nourrice, — répondit Charles Delmare se dirigeant vers le salon. — Tu m’aimes… tu as un grand bon sens, tu connais toutes mes pensées ; en m’épanchant avec toi, il me semble que je lirai plus clairement dans mon esprit troublé par l’inquiétude.

Et, soupirant :

— Ah ! mes pressentiments ! mes pressentiments ! Serait-il donc