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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/213

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— Seigneur ! Seigneur ! je vous rends grâce ! Vous m’avez conservé le père de mon enfant !…

— Ma fille, n’oublions pas les morts ! — dit la veuve d’Odelin d’une voix solennelle ; prions pour les victimes ! prions pour les trépassés !

— Ah ! — s’écrie le capitaine Mirant, — devant un tel forfait, le vertige vous saisit… l’on doute de soi-même… on se demande si l’on veille ou si l’on rêve ?…

— Mort-de-ma-sœur ! nous ne rêvons pas ! — reprend le franc-taupin. — Voire ! compagnons, en regardant un torrent couler à nos pieds, souvent, pendant un instant, la tête nous tourne… Ainsi nous advient… Nous voyons couler un torrent, ce torrent est de sang… ce sang, c’est celui de nos frères !…

— Misère-de-moi ! — s’écrie Barbot-le-Chaudronnier en levant son poing fermé vers le plafond, — le sang des catholiques, s’il ne coule pas à torrents, coulera goutte à goutte devant La Rochelle !… Qu’ils viennent nous attaquer ! oh ! qu’ils viennent donc ! qu’ils viennent !

— Ils viendront, — reprend le capitaine Mirant ; — ils doivent être en marche ! Nos remparts seront notre tombeau ! Merci Dieu ! nous ne serons pas égorgés comme des bœufs à l’abattoir ! nous mourrons en hommes !

Cornélie, pâle, immobile comme la statue de la douleur, les deux mains croisées sur son sein palpitant, le visage ruisselant de larmes, et jusqu’alors demeurée dans une consternation muette, fait deux pas vers son fiancé, lui disant d’une voix altérée :

— Antonicq, demain nous devions nous marier… l’on ne se marie pas en deuil, et dès aujourd’hui je porte le deuil de nos frères massacrés pendant la Saint-Barthélemy !… Une femme doit obéissance à son mari, et je veux rester libre jusqu’après la guerre… Alors, seulement alors, si nous survivons, je serai ta femme, Antonicq…