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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/262

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més. On distribuait ces derniers jours quelques poignées de fèves ou de pois… depuis hier l’on n’a rien distribué… Avant le siége, la plupart d’entre nous vivaient de leur pêche et de celle de leurs maris ; nous ne tendions la main à personne… aujourd’hui tout bateau pêcheur qui se risque hors du port est criblé de coups de canon par les redoutes royalistes ! Comment faire ? Nous ne pouvons pas rester sans manger, nous avons faim… Il nous faut du pain, maire ! il nous faut du pain !

— Oui ! — répétèrent les Rocheloises avec de grandes clameurs. — Du pain… du pain ! — Morisson, il nous faut du pain !

Après cette explosion de cris, le silence se rétablit ; le maire reprit d’une voix émue : — Vous êtes de braves femmes… je vous connais presque toutes par votre nom ; vous n’êtes pas des mendiantes ; vous ne venez ici que poussées par le besoin ! c’est cruel. Mais voyons ! croyez-vous qu’il y ait à la Rochelle des privilégiés qui mangent du pain quand vous en manquez ?

— Non… — répondit la Bombarde, — ce que nous souffrons, les autres le souffrent ; mais nous sommes à bout…

— Nous sommes à bout ! — répétèrent les voix de la foule. — Il nous faut du pain !

— Pauvres chères femmes… il vous faut du pain !… et comment voulez-vous que je vous en donne ?… — reprit Morisson. — Il ne reste pas un grain de blé dans les greniers de la ville… vous en convenez vous-mêmes…

Un morne silence accueillit ces paroles du maire, et au bout d’un instant la Bombarde reprit avec l’accent d’un sombre désespoir :

— Alors, maire, fais ouvrir l’une des portes de la ville… Nous marcherons droit aux retranchements de l’ennemi ! oui, nous et nos enfants nous irons nous faire tuer par les soldats de Charles IX ; nous en tuerons aussi de ces catholiques ! et tu seras débarrassé de nous, maire ! nous ne te demanderons plus de pain !

— La Bombarde a raison ! — répétèrent ses compagnes avec une