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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/96

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— Anna-Bell… tu n’aimes plus Solange… tu aimes Frantz de Gerolstein…

— Grand Dieu !… madame…

— Quoi d’étonnant ? le prince est, mieux que pas un, fait pour plaire ; son renom de bravoure, de magnificence, de galanterie, l’avait précédé à ma cour, où tu l’as vu l’an passé ; il a souvent conversé avec toi tête à tête ; et lorsque d’autres femmes le provoquaient de leurs agaceries, ta jolie figure s’altérait, devenait d’une tristesse mortelle…

— Madame…

— Ne va pas me dire non !… j’ai tout vu… Oh ! rien ne m’échappe à moi ; les affaires d’État ne m’absorbent pas à ce point, que du coin de l’œil je ne suive vos amourettes, mes mignonnes… c’est mon délassement… J’aime tant à voir la belle jeunesse amoureuse se vouer au culte de la bonne déesse Vénus ! pratiquer le bel adage des Thélémites de Rabelais : Fais ce que voudras ! Combien de fois n’ai-je pas été m’asseoir parmi vous, chères filles, pour causer de vos galants, de vos ruptures, de vos raccords, de vos piquantes infidélités. Quels bons contes nous faisions ! Ces pauvres galants, comme vous les trompiez ! De vrai, ils vous le rendaient avec usure ! mais le tout à la plus grande gloire de sainte Aphrodite ! Cependant, je l’avoue, quoique je t’aie fait élever, mignonne, en vraie professe de l’abbaye de Thélèmes, ayant pour dieu l’amour, pour patronne la volupté, pour patron le caprice, tu as toujours été dépaysée parmi tes compagnes ; je ne te sais point d’autre amant que Solange. Sérieuse, souvent mélancolique, tu es une béguine auprès de tes lascives et folles compagnes ; ce qu’il te faut à toi, vois-tu, c’est un bon amour, bien pesant, bien dévoué, bien fidèle, un mari à adorer sans remords, une couvée d’enfants à chérir : voilà pourquoi, mignonne, je veux te marier à Frantz de Gerolstein.

— J’ai écouté Votre Majesté sans l’interrompre ; il lui plaît de se railler de moi…