Aller au contenu

Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un mot, la fraction dont je parle voudrait réduire les rois aux fonctions d’agents exécutifs des assemblées nationales. La noblesse des villes et des seigneuries est nécessairement royaliste, mais peu nombreuse ; j’en parle seulement pour mémoire. Quant au peuple des villes, vous savez, monsieur, dans quel abaissement, dans quelle ignorance calculée on le tient ; écrasé de taxes, il se rebellera beaucoup plus contre la misère et les gens du fisc que contre le roi ou la forme du gouvernement, dont le peuple a peu souci !

— Ces observations me semblent profondément sensées, — dit Jean de Witt, pensif ; — continuez, de grâce, monsieur Lebrenn.

— La population des campagnes, presque toute vassale, exploitée, durement opprimée par le clergé, les seigneurs, les gens des gabelles et les gens de guerre, poussée à bout par l’excès de ses misères, se révoltera contre la souffrance, contre ses seigneurs, contre les prêtres, les gabeleurs et les soldats, mais demeurera non moins insoucieuse de la forme du gouvernement que le peuple des villes. Ainsi, vous le voyez, monsieur de Witt, l’illusion ne m’aveugle pas. Autant je suis certain de l’explosion inévitable et prochaine d’un soulèvement en Bretagne, autant je suis incertain ou plutôt ignorant des conséquences immédiates de ce soulèvement ; sans doute, le gouvernement républicain, à qui vos provinces, affranchies de la domination royale, ont dû tant de puissance, de prospérité, de grandeur, est à mon sens l’idéal du gouvernement, mais je n’espère pas, toujours en ce qui touche la Bretagne, le voir prévaloir en ces temps-ci. Enfin, je dirai plus, et ces paroles vous prouveront encore combien peu je m’abuse : il se peut, il est presque probable que si l’insurrection triomphe, et que la Bretagne reconquière par les armes sa liberté, ses antiques franchises, ce triomphe d’un jour sera le lendemain compromis, et elle perdra presque… je dis presque… et elle perdra presque tous les fruits de sa victoire par le défaut de concert, d’unité de vues, d’abnégation ou d’intelligence de ceux-là qui auront concouru à la lutte !