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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/195

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elle tendrement au passage du messager d’amour, semblant ainsi le saluer de ses doux chants, le Baz-valan ne doutait pas du favorable accueil réservé à sa demande. En était-il ainsi ? il fallait alors l’entendre chanter le panégyrique de son amoureux client, mettre en relief les moindres avantages de sa personne, vanter les qualités de son caractère, nombrer le bétail de son étable, les muids de blé serrés dans son grenier, répondant prestement, joyeusement aux objections des parents de la demandée, sachant enfin égayer les plus moroses ou prouver aux plus incrédules que son client serait le phénix des époux. Donc, ce jour-là, les curieux du bourg de Mezléan se pressaient à la porte de la boutique de Paskou-le-Long, boutique voisine d’une auberge dont la cour et les abords étaient encombrés par les chariots attelés de bœufs ou par les chevaux des paysans qui devaient faire partie du cortège nuptial, à la tête duquel marcheraient le Baz-valan et le fiancé, afin d’aller quérir l’épousée dans sa maison, éloignée du bourg environ d’une lieue. Le fiancé était Nominoë Lebrenn. Il se tenait alors, ainsi que son père Salaün, dans la chambre haute de la maison de Paskou-le-Long et semblait en proie à une profonde et secrète anxiété. Ses traits pâlis, amaigris, portaient l’empreinte de chagrins concentrés. Accoudé à une table, il appuyait sur sa main son front soucieux ; Salaün, debout près de son fils, le contemplait avec une expression de stupeur douloureuse, et après un moment de recueillement, il lui dit :

— En vérité, mon enfant, je peux à peine croire à ce que je viens d’entendre… Quoi ! nos parents, nos amis, rassemblés dans la maison voisine, t’attendent afin de se joindre à toi pour aller chercher chez elle ta cousine Tina et la ramener ici, où votre union doit être célébrée au temple, et voilà que soudain, sans raison, tu sembles irrésolu au sujet de ce mariage, arrêté, convenu depuis si longtemps ?

— Mon père, — répondit Nominoë avec effort, — je ne serai irrévocablement engagé qu’alors que le Baz-valan aura été prendre en mon nom ma fiancée dans sa demeure… c’est seulement après cette