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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/239

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— Le tour de son esprit et son caractère avaient toujours été plus que bizarres, grâce à la détestable éducation qu’elle a reçue de sa mère que j’ai toujours crue foncièrement huguenote ; malgré son apparente abjuration ! Mais, je l’avoue, depuis sa maladie, qui a sans doute quelque peu détraqué sa cervelle, les étrangetés de ma nièce vont toujours empirant, et, sans les très-graves motifs que vous connaissez, nous nous serions déjà, mon neveu et moi, résolus, sauf le bon plaisir du roi, notre maître, de faire enfermer cette quasi-folle, qui, plus que jamais, soutient et maintient que l’on ne meurt point et que l’on va, s’il vous plaît, revivre en chair et en os dans les étoiles !

— Ceci, chère marquise, est de l’hérésie, et pis encore, du paganisme au premier chef… Rien de plus désordonné d’ailleurs que la conduite de Berthe. Elle accueille le premier croquant venu au château, sous prétexte d’aumônes, et dans le bourg on ne l’appelle que la bonne demoiselle, manière d’outrage indirect à l’endroit de son frère. Souvent elle monte à cheval le matin et ne revient que le soir, toujours, il est vrai, accompagnée d’un laquais et du vieux du Buisson, l’un des écuyers du comte ; mais elle sort seule et à pied pour se livrer à d’interminables promenades. Elles ont lieu, ce dit-elle, dans le parc. Belle raison ! est-ce que le parc n’a pas des portes ouvertes sur la campagne ? Enfin, il y a peu de jours, Berthe a eu l’incroyable fantaisie d’aller au manoir de Mezléan, inhabité depuis longtemps, et d’y séjourner quarante-huit heures. De retour de cette excursion depuis avant-hier, elle n’a pas quitté son lit ou sa chambre, se disant gravement indisposée, refusant de vous recevoir, non plus que son frère. Tout ceci, marquise, est plus qu’étrange et touche à l’insanité d’esprit… Aussi, votre tolérance et celle du comte…

— Notre tolérance ! hé, l’abbé… vous savez bien pourquoi il nous faut, quoique nous enragions, nous montrer tolérants ?

— Certes, parce que vous espérez toujours que Berthe consentira d’épouser le marquis de Châteauvieux, et que, Raoul s’unissant à ma-