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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/245

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d’une âpreté féroce, d’une jalousie implacable à l’endroit de la plus légère faveur du maître, ne fût-ce qu’un mot, un sourire, un regard ? Ah ! c’est que le courtisan sait bien… et il s’en éjouit, il en pâme… que cette faveur à lui accordée va du même coup poignarder ses rivaux qui l’envient et l’abhorrent !

Honte et douleur ! Il faut le dire à l’éternel opprobre de ce siècle-ci, fils de Joel ! Jamais ces turpitudes, ces haines, ces basses rivalités, fruits du hideux accouplement du despotisme et de la courtisanerie, n’ont été plus nombreux, plus horribles que sous le règne de Louis XIV ! Et cela est inévitable ! cela est fatal ! Hélas ! comment ce Jupiter en perruque, ce soleil d’opéra, ne serait-il pas véritablement convaincu d’être l’astre et le Dieu du monde ? comment ne professerait-il point une dévotion sincère à sa propre divinité ? comment ne puiserait-il pas dans cette fervente idolâtrie de soi-même un superbe, un incommensurable mépris de l’humaine espèce, lorsqu’il voit le moindre froncement de sa perruque olympienne, un pli dédaigneux de sa lèvre royale, un mot insultant sorti de sa bouche sacrée, plonger des hommes… et des plus grands, et des plus puissants, et des plus illustres… dans des désespoirs incurables et les frapper à mort… Dieu juste ! lorsque l’homme se traîne, rampe, s’aplatit, s’écrase dans la fange d’une pareille abjection, il provoque, il justifie, il légitime… que dire ? il fait aimer l’exorbitante insolence du tyran ! Va, Louis-le-Grand ! tu ne saurais laisser une trop profonde empreinte de ton talon sur ces fronts serviles !


Le comte de Plouernel, lorsqu’il entra dans le salon de madame du Tremblay, était fort irrité ; il venait d’apprendre, par une lettre de son bailli de Mezléan, la généreuse intervention de Berthe de Plouernel en faveur des vassaux menacés de saisie, parce qu’ils n’avaient pu acquitter les nouvelles taxes à eux imposées par le bon plaisir de leur seigneur. Et cependant, il lui fallait pourvoir aux énormes