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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/262

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avait fait construire son donjon féodal… là-haut, à la cime de la montagne… Il fallait à ce repaire une issue secrète et souterraine, qui permît au seigneur de fuir au besoin après une défense acharnée. Votre aïeul, Den-Brao-le-Maçon, très-expert dans son métier, fut avec plusieurs autres vassaux chargé de creuser ce souterrain ; ils ne devaient quitter ni de jour ni de nuit leurs travaux avant leur achèvement. Il en fut ainsi, il ne restait plus à percer de ce côté-ci que quelques pieds à travers le roc, lorsque mon noble ancêtre, Neroweg VI Pire-qu’un-Loup et quelques hommes de sa bande, pénétrant dans le souterrain, garrottent Den-Brao-le-Maçon et ses compagnons, au nombre de quinze ou vingt, je crois, leur enlèvent leurs luminaires, leurs outils, laissent ces malheureux dans les ténèbres, sans pain, sans eau, et regagnent l’autre issue de la galerie aboutissant aux cachots du donjon et fermée par une porte double de fer. Les serfs expirèrent dans les horreurs de la faim !… Mon noble aïeul, Pire-qu’un-Loup, pouvait simplement égorger ces victimes. Mais, que voulez-vous ? il tenait à justifier son surnom… et surtout à ensevelir le secret du souterrain avec les vassaux qui l’avaient creusé… Ils auraient pu jaser de leurs travaux occultes, et les seigneurs voisins, ennemis du sire de Plouernel, auraient ainsi connu la secrète issue du repaire féodal… J’ajouterai que le fils de votre aïeul, Den-Brao-le-Maçon, et ce fils, si j’ai bonne mémoire, se nommait Fergan-le-Carrier, poussé plus tard par la misère, par l’espoir de s’affranchir du servage, suivit, comme tant d’autres serfs, son seigneur à la première croisade. Or, un jour, il se trouva seul à seul au milieu des déserts de la Syrie avec Neroweg-Pire-qu’un-Loup. Là, une lutte terrible s’engage, non plus de serf à seigneur, mais d’homme à homme. Dans cette lutte acharnée, le vassal votre aïeul, monsieur Lebrenn, se montra généreux. Il avait à venger, non-seulement l’épouvantable mort de son père Den-Brao-le-Maçon, mais une barbarie sans nom, dont son fils à lui, Fergan-le-Carrier, avait failli être victime… et pourtant, tenant sous ses pieds son seigneur désarmé, votre aïeul hésitait encore à frapper cet homme