Aller au contenu

Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vœu de prendre pour époux, moi, fille de Neroweg-le-Frank, un fils de Joel-le-Gaulois ! Dites, n’était-elle pas juste, généreuse, touchante, expiatrice, cette réparation de la fille des oppresseurs envers le fils des opprimés ? n’était-il pas saint, trois fois saint, ce mariage, qui consacrait l’union de la race conquise et de la race conquérante ? n’était-il pas céleste, cet amour, puisé à la source divine de la justice éternelle ?

Il est impossible de rendre la sublime expression des traits de mademoiselle de Plouernel en prononçant ces dernières paroles. Nominoë contemplait Berthe avec un recueillement religieux ; car, ainsi qu’elle le disait, un pareil amour n’avait rien de terrestre : il semblait, par son élévation, toucher au ciel !

La parole est impuissante à exprimer certaines émotions. Nominoë, le visage baigné de larmes, restait silencieux. Soudain, une voix lointaine, fraîche et pure… une voix de jeune fille commença de chanter, ou plutôt de réciter sur un rythme lent et mélancolique, l’un de ces bardits (ou chants nationaux bretons) dont quelques-uns, encore populaires en ce temps-ci, remontent à l’antiquité la plus reculée. La chanteuse faisait paître ses brebis sur l’une des pentes ombragées de la montagne au faîte de laquelle s’élevaient les ruines du donjon féodal de Plouernel. Cette douce voix, affaiblie par la distance, semblait venir des cieux. Aux premiers versets de ce chant, Nominoë, malgré sa profonde émotion, tressaillit, prêta l’oreille et dit à mademoiselle de Plouernel :

— Rencontre étrange ! Ce chant, traditionnel en Bretagne depuis des siècles, raconte la mort d’une jeune fille de notre famille au temps de la conquête de la Gaule par Jules César…

— La mort d’une jeune fille ! — reprit mademoiselle de Plouernel avec un sourire d’une expression indéfinissable. — Écoutons, Nominoë, écoutons…

Tel était le bardit chanté au loin par la bergère d’une voix fraîche et sonore :


« — Elle était jeune, — elle était belle, — elle était sainte, — elle a donné son sang