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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/330

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séparait donc en ce monde, Nominoë. Revenue ici après l’incendie du château de Plouernel, j’ai envisagé la réalité sans faiblesse. Notre séparation, les impossibilités qui s’opposaient à jamais à notre union n’affaiblissaient en rien mon amour : il est au-dessus des atteintes terrestres ; mais mon existence actuelle, éprouvée déjà par tant de malheurs, par de si cruelles déceptions, au sein même de ma famille, me devenait intolérable. Notre mariage rompu, ma vie manquait de but. Puis, le désir passionné de revoir ma mère, et, faut-il l’avouer ?… une invincible, une dévorante curiosité, au sujet de ces mondes mystérieux où nous allons revivre, âme et corps, curiosité qui touchait au vertige, alors qu’ici, chaque soir, les yeux attachés sur le firmament je contemplais ces milliers d’étoiles où s’accomplissent nos renaissances infinies comme l’éternité… toutes ces causes m’ont déterminée à quitter ce monde-ci, afin d’aller rejoindre ma mère et vous attendre, Nominoë, là où nous retrouvons ceux que nous avons aimés… Ma détermination prise, je vous ai écrit, je désirais vous dire adieu et recevoir de vous un mot de souvenir… Mon émissaire partit à votre recherche. Bientôt une métamorphose s’opérait en moi… ces brûlantes insomnies, ces anxiétés douloureuses qui, depuis si longtemps, me minaient, m’épuisaient, cessèrent devant cette adorable certitude : « Bientôt j’aurai quitté un séjour intolérable, bientôt j’aurai revu ma mère, bientôt enfin mes yeux enchantés s’ouvriront aux merveilles des nouveaux mondes ! » Cette confiance, pleine de quiétude, raffermit ma santé : elle devint florissante ; mon sommeil, profond comme celui d’un enfant ; je passais mes jours dans d’ineffables rêveries, en attendant le retour du messager qui vous portait ma lettre… Cependant parfois, et vous allez sourire, Nominoë, je ressentais une sorte d’hésitation au sujet de la manière dont j’entreprendrais ce voyage, qui semble si lointain et ne dure pourtant que l’expiration d’un souffle… Je me rendais presque chaque jour au bord de l’Océan ; là s’élèvent les avenues des gigantesques pierres de Karnak, où votre aïeule, Hêna, la vierge de