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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/77

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autre dépêche du 27 août 1675, — « les avis qu’ils pourraient avoir du progrès du soulèvement, leur donneraient peut être lieu d’y entreprendre, et l’on pourrait craindre même que le bruit des troupes, qui ne seraient destinées que contre Rennes, ferait un méchant effet en Basse-Bretagne. Je crois donc, Monsieur, que… (en chiffres) le retardement de la punition est absolument nécessaire….................. »

Les appréhensions de M. de Chaulnes, au sujet des croiseurs de la république des Sept-Provinces, étaient fondées, ainsi qu’il résulte de la dépêche suivante, adressée à Colbert, par M. le marquis de Lavardin, commandant à Nantes pour le roi. Nous donnons cette lettre in-extenso, parce qu’elle est d’un tour d’esprit fort original et que son auteur compte parmi les hommes les plus spirituels de son temps.


Nantes, 31 août 1675................................

« Monsieur,

» J’ai avis de sept frégates hollandaises qui sont prêtes de se mettre en mer à Saint Sébastien pour venir croiser sur nos côtes, et on me mande de Saint-Malo, du 27, que Ruyter amène sur les côtes l’armée navale qu’il commande. J’ai reçu la lettre dont vous m’avez honoré, et puisqu’il vous déplaît d’être averti franchement, je ne prendrai plus cette liberté, d’autant plus que, donnant à de Narp un protecteur pour son juge, ma réputation sera plutôt ternie que la sienne ; Villebagne l’avait mis dans l’emploi, en le recommandant à M. de Coëtlogon, qui ne voyait pas alors qu’il balançait sa considération avec celle d’un lieutenant général qui n’a jamais malversé : M. de Léon n’agissait que sur les mémoires de M. de Seuil, qui est fort de ses amis. Je ne vous en parlerai plus jamais, et content de ne point faire d’injustice et de ne point salir mes mains, je laisserai librement maltraiter les malheureux, et trouverai que je le suis infiniment, Monsieur, si j’ai le malheur de vous déplaire, ne désirant rien davantage que l’honneur de votre protection et de votre bienveillance, et de vous marquer avec quelle soumission je suis, malgré les dégoûts qu’il vous plaît me donner,

» Monsieur,
» Voire très-humble et très-obéissant serviteur.

» Lavardin. »...............................

« Je suis, malgré les dégoûts qu’il vous plaît me donner, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur… » Est-il possible de témoigner plus de hauteur, sous une apparence plus humble ? Combien, dans cette dépêche, l’on sent le grand seigneur s’adressant à son supérieur : Monsieur Colbert. Le personnage dont il est question, M. de Narp, préposé à l’inscription maritime des matelots du littoral, se faisait exécrer par ses concussions ; mais en ce déplorable temps, tout était concussion et violence. Nous allons bientôt prouver, texte en main, que l’aversion des Bretons envers leurs prêtres, l’un des motifs les plus décisifs de l’insurrection, était surtout causée par l’insatiable convoitise du clergé. En voici une preuve bizarre, nous dirions « comique » si les exactions, les violences cléricales n’avaient fait couler le sang à torrents. Il s’agit d’un évêque qui, ayant vendu ses dîmes à un sieur Régnard et éprouvant quelque retard dans le paiement, imagina de contraindre son débiteur à le payer. Par quel moyen ?… Jugez-en, chers lecteurs, d’après cet extrait d’une dépêche de M. de Chaulnes à Colbert (17 juin 1675) :

« …… La banqueroute de Vannes ne se trouve pas tout à fait véritable. Voici le fait ; M. l’évêque de Vannes avait vendu trente-cinq muids de sa dîme de seigle au sieur Régnard. Il le pressait du paiement, et comme il n’y satisfit pas aussi promptement qu’il le souhaitait, il s’avisa d’une exécution épiscopale dont l’on n’avait pas ouï parler, et lui envoya chez lui des prêtres pour y demeurer jusqu’à l’entier paiement. Comme l’on doit respecter le caractère des prêtres, et que ledit Reignard fut fatigué de voir et nourrir toujours ces sortes de gens, la crainte que l’on ne l’arrêtât, le fit évader. Il n’est pas sorti de la province et s’est retiré dans le pays Nantais, où il fait aller ses créanciers pour les payer, ou en argent, ou en assignation, ou en leur rendant les denrées qu’il n’avait pas encore vendues, etc., etc.

» Le duc de Chaulnes. »...............................

Cette exécution épiscopale, ainsi que le dit M. de Chaulnes, ces ministres du Seigneur transformés en recors, en sergents, et devenant des garnisaires aux ordres de leur évêque, encore une fois, ne serait-ce pas d’un comique achevé, si, répétons-le, l’indignation générale que soulevaient de pareilles turpitudes n’avait éclaté en une guerre civile sanglante et désastreuse. L’insurrection des paysans grandissait de jour en jour. Ils commençaient à attaquer les gentilshommes, et M. de Guémadeuc, évêque de Saint-Malo, écrivait de son côté à Colbert (le 21 juin 1675).

« ...… Il y a eu aussi, Monsieur, quelque émotion dans la Basse-Bretagne qui est présentement apaisée ; mais comme il est fâcheux qu’une personne comme M. le marquis de la Coste, qui porte le caractère du roi, y ait été attaquée et blessée par la canaille, il sera peut-être nécessaire, quand tout sera bien calme ici, que M. le duc de Chaulnes, en attendant ses États, aille aussi faire un