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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/234

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vêtu. Ancien sergent racoleur, puis souteneur de brelans, puis enfin suisse dans la paroisse de Saint-Médard, et chassé de cette paroisse pour vol du tronc des pauvres, il s’appelait Lehiron ; sa ceinture de laine rouge soutenait deux pistolets d’arçon et un large coutelas sans fourreau. Il avait dépouillé son habit et retroussé jusqu’aux coudes les manches de sa chemise, laissant voir ses bras nus rougis de sang caillé (ce sang n’était pas le sien). Il portait au bout du fer de sa pique la tête livide de M. de Flesselles, et de temps à autre brandissant cet affreux trophée, il criait d’une voix de stentor :

— Vive la nation ! — À mort les ennemis du peuple ! — Les aristocrates à la lanterne ! !

— À mort les ennemis du peuple ! — Les aristocrates à la lanterne ! — répétaient ces bandits agitant leurs piques, leurs sabres ou leurs fusils non noircis par la poudre.

— Les aristocrates à la lanterne ! — criait aussi d’une voix grêle, mais perçante, un enfant donnant la main à un homme misérablement vêtu et dont la figure disparaissait complètement sous une énorme barbe postiche et rousse comme sa chevelure touffue, coiffé d’un bonnet gras en laine écarlate. Cet homme était le jésuite Morlet, et l’enfant, son fillot, le petit Rodin. Au moment où ils débouchaient à la tête de cette bande de scélérats, M. Desmarais quittait son balcon. Le jésuite, désignant du geste la demeure de l’avocat, dit quelques mots à l’oreille de Lehiron, et celui-ci, lorsqu’il passa devant le balcon, cria de tous ses poumons :

— Mort aux bourgeois ! — Mort aux traîtres ! — À la lanterne Desmarais ! — C’est un faux frère !…

Au moment où la tête de la bande avait débouché dans la rue Saint-Honoré, l’abbé Morlet, marchant au premier rang, à côté de Lehiron, avait aperçu de loin Victoria debout sur l’affût du canon, d’où elle dominait ainsi de beaucoup la foule… Malgré le changement que ses vêtements de femme du peuple apportaient à l’apparence