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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/262

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le ramener à une appréciation plus juste, plus modeste de notre origine : — « Notre famille n’est-elle pas devenue régnante par la grâce de l’audace d’un aventurier, arrière-petit-fils de Gaëlo-le-Pirate, notre aïeul ? Que la terre lui soit légère, à ce Gaëlo… ! mais il fut le compagnon de pillage et de massacre du vieux Rolf, un affreux bandit qui pendant de longues années venait, chaque printemps, du fond des mers du Nord, ravager les rives de la Loire et de la Seine, et qui couronna ces hauts faits en forçant le roi Charles-le-Sot à lui donner sa fille et à le reconnaître duc souverain de Normandie. »

— Et à cela, Frantz, que répondait votre père ? — reprit Victoria, — il ne pouvait cependant nier les faits, nier l’histoire ?

— Mon père me répondait… réponse peu flatteuse pour les grands ou petits porte-couronnes de ce bas monde… que tous, à commencer par Clovis, n’avaient pas une origine moins sauvage, moins inique, moins sanglante… Ceci me semblant peu satisfaisant au point de vue de la morale éternelle, je faisais respectueusement observer à mon père que viendrait le jour… et ce jour était proche… où les peuples, peu à peu éclairés sur l’origine du pouvoir de leurs prétendus maîtres, se lasseraient d’être les peuples, la propriété exploitable, corvéable à merci, la chose, enfin, de quelques familles princières ou royales, de qui les illustres fondateurs méritaient tous les galères ou la potence, au point de vue de la justice humaine et divine… Je craignais donc fort, ajoutais-je, que, par un terrible retour des choses d’ici-bas, les peuples, poussés à bout, ne traînassent les derniers rejetons de ces races souveraines comme avaient mérité de l’être leurs augustes fondateurs, tous plus ou moins dignes de la corde !

— De fait, — dit Jean Lebrenn, souriant, — ce langage était nouveau dans la bouche d’un prince, fils de prince…

— Aussi, mon cher Jean, mon père se courrouçait-il de ce langage. En somme, je concluais en l’engageant à donner, avant d’y être