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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/266

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le peuple n’a jamais eu le temps d’achever les révolutions qu’il a commencées ! ! ou bien, si elles ont été promptes, décisives et momentanément complètes… le temps lui a toujours manqué pour défendre sa conquête, pour la maintenir, la consolider, la féconder ! ! Ses ennemis, au contraire, gens de loisir, à l’abri du besoin, rois, prêtres, nobles ou traitants… ont patiemment attendu… tapis dans l’ombre, où ils faisaient les morts… l’heure certaine de ravir au peuple sa conquête éphémère… payée par lui de son sang et de souffrances d’une misère atroce !

— Hélas ! il n’est que trop vrai… — reprend le vieillard frappé comme son fils de l’effrayante réalité des paroles de Victoria. — Ah ! le temps… le temps nous a toujours manqué !…

— Oui, c’est là une vérité fatale ! — dit Frantz de Gerolstein. — Puisse cette vérité, mon cher Jean, convaincre le peuple que, s’il peut, chose rare, faire quelques épargnes sur son modique salaire… ce n’est point au cabaret qu’il les doit dépenser, car cette sainte épargne du travailleur doit, le jour venu, lui assurer en partie le loisir de s’affranchir ! ! Et s’il n’a pu rien épargner, il a tort de céder à un scrupule exagéré de délicatesse et de repousser l’aide que ses amis lui offrent fraternellement, afin de lui assurer l’un des moyens de remporter la victoire et surtout de la consolider…

— Vos paroles, Frantz, me rappellent un fait singulier dont j’ai été témoin ce matin, — reprend le jeune artisan pensif. — L’un de mes amis, ouvrier charpentier, et plusieurs autres de nos camarades, se trouvaient, au point du jour, aux abords de la Bastille, attendant le moment de l’attaque ; un homme simplement vêtu, et d’une figure ouverte, les accoste : — « Frères, — leur dit-il, — vous allez combattre pour votre liberté… c’est votre devoir… mais aujourd’hui vous n’irez pas à l’atelier, partant point de salaire… Si vous avez une famille… de quoi vivra-t-elle demain ? Et si vous êtes célibataires, de quoi vous-mêmes vivrez-vous ?… Permettez donc à un de vos amis inconnus de vous venir fraternellement en aide… de