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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/280

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dans une silencieuse angoisse le père de Charlotte, et n’aperçoit pas que l’une des portes latérales du salon est entrebâillée par M. Hubert, qui avance avec précaution la tête se disant :

— Je viens de laisser ma sœur avec sa fille, en feignant de quitter la maison… Je suis curieux de savoir à quelle espèce de lâche et hypocrite défaite mon avocat de beau-frère aura eu recours pour évincer ce polisson, sans le blesser… ainsi que disait ma poule mouillée de sœur.

M. Hubert laisse la porte entrouverte et assiste invisible à la continuation de l’entretien entre le jeune artisan et M. Desmarais. Celui-ci, après un silence prolongé, que Jean a craint d’interrompre, se lève et, habile comédien, ainsi que grand nombre de maîtres dans l’art oratoire, il a su donner à ses traits une expression de douloureuse consternation ; une larme même attendrit son regard, puis, tendant ses bras à Jean Lebrenn, il lui dit d’une voix étouffée :

— Mon ami… mon pauvre ami… ah ! nous sommes bien malheureux ! !

Le jeune artisan, déjà profondément ému par les anxiétés que lui cause cette scène inexplicable, répond à l’affectueux appel de M. Desmarais, se jette dans ses bras, et lui dit avec effusion :

— Monsieur… monsieur… qu’avez-vous ?… J’ignore la cause de ce chagrin, qui, tout à coup, a semblé vous poigner ; mais, quel qu’il soit, croyez-le, j’y compatis de toute mon âme…

— Ah ! je l’espère, mon ami… votre tendre compassion me consolera… me réconfortera… — dit M. Desmarais d’une voix entrecoupée, en serrant à plusieurs reprises Jean Lebrenn entre ses bras ; et semblant faire un violent effort sur lui-même, il reprend d’un ton plus ferme : — Allons, mon ami, du courage… il nous en faut, et beaucoup… à moi surtout ! !

— Et pourquoi, monsieur ? nous faut-il tant de courage ?

— Pour supporter fermement le coup le plus douloureux… qui puisse frapper deux hommes de cœur…