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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/297

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croyez-moi, citoyen, nous ferons tout notre possible pour conjurer ce malheur irréparable. — Et Jean Lebrenn, s’adressant à l’avocat Desmarais, ajoute dignement : — Adieu, monsieur… je n’oublierai jamais que j’ai été longtemps reçu chez vous en ami… Je regrette peut-être moins encore la ruine des plus douces espérances de mon cœur… que la perte de ma confiance en vous comme patriote et véritable ami du peuple…

— Ainsi, selon vous, je ne suis plus ni patriote ni ami du peuple parce qu’il m’a convenu de vous refuser ma fille ? — reprend amèrement l’avocat. — Ainsi, vous jugez uniquement mes opinions politiques, mon civisme, au point de vue de vos intérêts particuliers ? Ainsi, vous allez sans doute me signaler au peuple comme un hypocrite, comme un aristocrate parce que, usant librement de mon droit de père de famille, j’ai…

— Citoyen Desmarais, en mon âme et conscience, il m’est maintenant personnellement prouvé par votre refus, et j’en prends à témoin votre beau-frère, dont la sincérité n’est pas douteuse, que vous ne me jugez pas digne d’entrer dans votre famille parce que je ne suis qu’un artisan…

— C’est évident. Telle est l’unique cause du refus de Desmarais ; car, sauf l’inégalité de condition, vous êtes le plus digne jeune homme que je connaisse, — répond M. Hubert ; et s’adressant à l’avocat : — Ayez donc le courage de dire la vérité ; avouez donc, morbleu ! que c’est au garçon serrurier que vous refusez la main de Charlotte !

— Eh ! monsieur, je n’ai à rendre compte de mes sentiments ni à vous ni à personne ! — s’écrie l’avocat, furieux de la brutale sincérité de son beau-frère. — J’ai, je crois, le droit de disposer de la main de ma fille ainsi que je l’entends ?

— À Dieu ne plaise, citoyen Desmarais, que je songe à vous contester ce droit ! — reprend Jean Lebrenn. — Je respecte votre décision, je m’incline devant la volonté du père de famille ; mais je n’ai