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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/304

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vaient fort ; j’avais même appris la langue bretonne afin de traduire en français (et ainsi j’ai fait) plusieurs de nos annales de famille, jadis écrites dans l’antique idiome national, perpétué jusqu’à nos jours, puisque, à peu de différence près, la langue bretonne est l’ancienne langue celtique ou gauloise ; mais mon emprisonnement m’a empêché de donner suite à mon projet, et, à cette heure, je suis aveugle et sans ressources…

— Qu’à cela ne tienne, bon père. Les moyens de subvenir aux frais de cette utile publication ne vous manqueront pas, — répondit Frantz de Gerolstein, échangeant avec Victoria un regard d’intelligence et faisant ainsi allusion au trésor des Voyants. — Plusieurs de nos amis et moi, nous nous chargerons de cette dépense…

— L’importance de cette publication serait d’autant plus grande, que nos ennemis l’ont toujours redoutée depuis l’invention de l’imprimerie… — répond Victoria d’un air pensif. — Vous souvenez-vous, mon père, d’une note de la main d’Ignace de Loyola, citée dans la légende de notre aïeul, Christian-l’imprimeur, continuée par son fils Antonicq, l’armurier de la Rochelle ?

— Oui, — répond le vieillard. — Jean Le Fèvre, l’un des premiers disciples de Loyola, était parvenu, grâce à une ruse indigne, à s’emparer de notre légende (heureusement recouvrée plus tard par notre aïeul le Franc-taupin) ; or, Loyola, l’ayant lue, recommandait dans la note en question de brûler immédiatement ces manuscrits, qui, depuis la découverte de l’imprimerie, pouvaient être publiés et devenir ainsi une arme populaire et dangereuse contre l’Église et la royauté…

— La compagnie de Jésus est de nos jours aussi vivace que jamais, — ajoute Victoria, faisant mentalement allusion à sa rencontre de la veille avec l’abbé Morlet ; — habile à tous les déguisements cette Compagnie va sans doute, comme au temps de la Ligue, prendre le masque populaire… pousser aux sanglants excès, afin de souiller notre cause, et j’en jurerais… le meurtre de M. de Fles-