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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/167

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flède ! — Plusieurs femmes, mêlées parmi ces hommes, criaient non moins bruyamment : — vive l’abbesse !

— Toi qui viens prendre possession de ce monastère, — dit Méroflède au jeune chef avec un sourire sardonique, — sais-tu ce que c’est que le droit d’asile ?

— Je le sais… tout criminel réfugié dans une église est à l’abri de la justice des hommes.

— Tu es un vrai trésor de science, digne de porter la crosse et la mitre, toi qui viens me déposséder de cette abbaye ! Or donc, ces bonnes gens que tu vois là sont la fleur des bandits du pays ; le plus innocent a commis un meurtre ou deux. Apprenant ta venue, je leur ai offert de quitter de nuit l’asile de la basilique de Nantes, leur promettant asile dans la chapelle de l’abbaye et la tolérance du bon vieux temps où l’on menait si joyeuse vie dans les saints asiles. S’ils sortent d’ici, le gibet les attend ; c’est te dire avec quelle rage ils défendront le monastère contre toi et tes hommes, qui ne conserveriez pas chrétiennement ici de pareils hôtes, tandis que moi je les nourris et les héberge. Tu le vois, jeune homme, donner une abbaye est facile, en prendre possession est difficile. Je ne te parle pas des nombreux esclaves qui m’obéissent au nom du Seigneur, et que je compte armer. Maintenant tu connais les forces dont je dispose, rentrons au monastère ; après ta longue route, tu dois être fatigué. Je t’offre l’hospitalité ; tu souperas avec moi… ce n’est point canonique, je le sais ; mais nous sommes à peu près en temps de guerre, et la guerre a ses licences… Demain, au point du jour, tu rejoindras tes compagnons ; tu dois être homme de bon conseil, tu engageras donc ta bande à se mettre en quête d’une autre abbaye, et tu les guideras dans cette recherche.

— Je vois avec plaisir, sainte abbesse, que la solitude et les austérités du cloître n’ont pas altéré l’humeur joviale que tu parais posséder.

— Ah ! tu me crois d’humeur joviale ?