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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/194

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prières, leur résistance, ont été dépouillées de leurs vêtements et profanées, souillées par les regards des hommes qui voulaient nous vendre et nous acheter ! À cette honte, mon âge n’a pu me soustraire… — Et, fondant en larmes et tordant ses mains avec désespoir, la mère d’Amael ajouta en gémissant : — Et voilà ces Franks dont mon fils est le compagnon de guerre ! Il s’unit avec eux ! combat avec eux ! possède comme eux des esclaves de sa race ! et parmi ces esclaves, ainsi outragées, il a sa mère ! justice du ciel ! sa mère !

— Oh ! c’est horrible ! mais il ignorait cela… et puis, comment, lui, étant de notre race, s’est-il réuni aux Franks ?

— Cette indignité confond ma raison, révolte mon cœur. À l’âge de quinze ans, mon fils a disparu de la vallée de Charolles, où nous vivions libres et heureux… Que s’est-il passé depuis ? je l’ignore…

En entendant prononcer le nom de la vallée de Charolles, Bonaïk, jusqu’alors pensif, tressaillit, puis prêta l’oreille à la suite de l’entretien de la Coliberte et de la mère d’Amael, qui reprit : — Revenons à ce juif, il a peut-être le secret de la vie de mon fils.

— Ce juif… et comment ?

— Malgré ma douleur, lorsque ce juif vint nous marchander, je subis le sort commun, je fus dépouillée de mes vêtements… Oh ! pour la sainteté de mon nom de mère, que mon fils ignore toujours ma honte ! cette pensée serait l’éternel et juste remords de sa vie, s’il doit vivre… — ajouta Rosen-Aër à voix basse, afin de n’être entendue que de Septimine. — Pendant que je subissais donc le sort de mes compagnes d’esclavage… le juif remarqua sur mon bras gauche ces deux mots tracés en caractères ineffaçables : Brenn-Karnak.

Brenn-Karnak ! — reprit la Coliberte d’une voix plus élevée ; aussi fut-elle entendue par le vieillard. — Quels sont ces noms ? pourquoi étaient-ils tracés sur votre bras ?

— Cet usage, depuis plusieurs générations, a été adopté parmi nous, car, hélas ! en ces temps de troubles, de guerres continuelles, les familles sont exposées à être séparées, dispersées au loin, et un