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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/258

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perçant. — Oui, je sais que l’on t’a justement choisi pour otage, toi l’instigateur et l’âme des révoltes, des guerres qui ont éclaté en Bretagne, sous le règne de Pépin, mon père, et sous mon règne, à moi ! puisque dans cette dernière guerre tes endiablés compatriotes ont décimé mes vieilles bandes aguerries !

— J’ai combattu de mon mieux dans toutes nos guerres.

— De ton mieux, traître ! Quoi ! comblé des faveurs de mon aïeul, tu n’as pas craint de te révolter en armes contre son fils et contre moi !

— Je n’ai eu qu’un remords, celui d’avoir mérité la faveur de ton aïeul. Je me reprocherai toujours de m’être battu pour lui… au lieu de m’être battu contre lui.

— Vieillard ! — s’écria l’empereur en devenant pourpre de colère, — tu as encore plus d’audace que d’années !

— Karl… brisons là ! Tu te regardes comme souverain de la Gaule… nous autres Bretons, nous ne reconnaissons pas tes droits. Ces droits, comme tout conquérant, tu les tiens de…

— Je les tiens de Dieu ! — s’écria l’empereur, en frappant du pied et en interrompant Amael. — Oui, mes droits sur la Gaule, je les tiens de Dieu… et de mon épée !

— De ton épée, oui ; de la violence, oui ; mais de Dieu, non ! Le Dieu juste ne consacre pas le vol… qu’il s’agisse d’une bourse ou d’un empire. Clovis s’était emparé de la Gaule ; ton père et ton aïeul ont dépouillé de sa couronne le dernier rejeton de Clovis, peu nous importe, à nous autres, qui ne voulons obéir ni à la race de Clovis, ni à celle de Karl-Martel. Tu disposes d’une armée innombrable, tu as déjà ravagé, vaincu la Bretagne, tu pourras la vaincre, la ravager encore, mais la soumettre… non ! Maintenant, Karl, j’ai dit. Tu n’entendras plus un mot de moi à ce sujet : je suis ton prisonnier, ton otage. Dispose de moi !

L’empereur, qui plusieurs fois avait failli laisser éclater son indignation, se tourna vers Eginhard, et lui dit d’un ton calme après