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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/297

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a entendu faire à Victoria mourante cette prédiction : « Après des siècles de douleur, d’oppression, de luttes sanglantes, la Gaule, brisant le joug abhorré des rois de race franque et des papes de Rome, se relèvera libre, glorieuse, terrible, et saura reconquérir sur ses anciens conquérants son sol et son indépendance. »

— La prophétie est, je l’avoue, bizarre ; d’ailleurs, cette discussion ne saurait aboutir à rien de raisonnable, — répondit l’empereur avec impatience, — il s’agit de l’avenir. Tu prédiras une chose, moi une autre : entre nous, qui décidera ?

— Le passé. Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.

— Laissons l’avenir et le passé, parlons du présent. Que penses-tu de moi ?

— Il y a en toi du bon et du mauvais ; mais, je le crois, tu t’enorgueillis plutôt de ton mauvais côté que du bon.

— Selon toi, de quoi suis-je le plus glorieux ?

— De tes conquêtes stériles et désastreuses.

— Ensuite ?

— Des hommages menteurs que t’envoient rendre par leurs ambassadeurs, les empereurs de Perse, d’Asie ou d’Afrique.

— Est-ce tout ?

— Tu t’enorgueillis encore d’avoir à peu près reconstruit l’administration des empereurs romains, de faire peser comme eux ta volonté d’un bout à l’autre de tes innombrables États. Or, de tout ceci, que restera-t-il après toi ? Rien. Tous ces peuples conquis, asservis par tes armes, se révolteront tôt ou tard. Ton immense empire, composé de royaumes qu’aucun lien commun d’origine, de mœurs, de langage ne rattache entre eux, se démembrera, et en s’écroulant, il écrasera tes descendants sous ses ruines.

— Ainsi, l’empereur Karl le Grand aura passé sur le monde comme une ombre, sans rien fonder, sans rien laisser après lui ?

— Non, ta vie n’aura pas été inutile. En guerroyant sans cesse